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de m’en faire trouver avant midi. Effectivement, on envoie des domestiques courir dans la ville. Midi arrive, point de chevaux. On avait l’air de s’amuser beaucoup de mon malaise et de mon impatience, et l’on se jouait de moi avec une grace parfaite et une politesse infinie. L’après-midi se passe de même en courses inutiles de la part des domestiques, et on avait toujours l’air de me plaindre beaucoup de ce que je ne pouvais partir. Enfin, à huit heures du soir, on vint m’annoncer, de la part de la maîtresse de la poste chez laquelle j’avais été le matin, qu’il venait d’arriver un homme en chaise de poste qui demandait un compagnon. J’en profite, et à neuf heures je monte en voiture. Voilà exactement comment les choses se sont passées. Il paraît qu’on avait formé le projet de m’arrêter pour m’embarrasser, et peut-être pour vous inquiéter un peu vous-même ; mais je dois vous avouer, chère Lucile, que l’on ne m’a dit que des choses aimables sur votre compte, et qu’on a affecté même de très peu parler de vous. D’ailleurs, je vous le répète, tout ce qu’on pourrait nie dire pour vous nuire serait absolument inutile. Je ne veux jamais vous juger, chère et céleste amie, que d’après mon cœur, et vous imaginez si le jugement doit vous être défavorable ! Je désire que le vôtre soit aussi flatteur pour moi, et que vous gardiez toujours la parole que vous m’avez donnée. Sans ce mot charmant : Je ne dis point non, je serais reparti la mort dans le cœur ; mais cela ne suffit pas, chère Lucile, il faut que vous preniez des mesures pour que nous nous voyions promptement : il faut que vous vous déterminiez bientôt, et que vous soyez entièrement à moi avant cet hiver. Je ne vois de bonheur que dans notre union, et je sens que vous êtes la seule femme dont les sentimens soient en harmonie, avec les miens, et sur laquelle je puisse me reposer dans la vie. Écrivez-moi par l’homme que je vous envoie. Vous pouvez tout me dire et m’ouvrir votre cœur de tout point ; c’est un homme parfaitement sûr. Je suis triste, et j’ai le cœur flétri. Cette existence isolée me pèse cruellement ; j’ai besoin de quelques mots de vous pour me redonner un peu le goût de la vie. Il me semble qu’il y a plusieurs mois que je vous ai quittée, et je ne puis me faire à l’idée de ne point recevoir de vos lettres. Écrivez-moi donc, et dites-moi que vous m’aimez encore un peu. Au nom de Dieu, envoyez-moi une copie de cette chose si aimable et si flatteuse que je lus dans le bois. L’éternelle et chère erreur me fut une expression bien douce, et elle est restée bien avant dans mon cœur. Si vous voulez être parfaitement aimable, joignez-y quelques-unes de vos pensées. Vous savez si je chéris tout ce qui vient de vous ! — J’ai enfin une lettre de votre frère ; il me dit qu’il ne peut rien faire pour moi à Rome, et que lui-même est extrêmement dégoûté de sa place. Ainsi, il ne faut plus songer à ce voyage. Je ne puis croire que vous ayez envie d’y aller vous-même, comme me le dit Mme de Chateaubriand. Vous n’auriez sans doute pas voulu me cacher une semblable démarche, et cela s’accorderait bien peu avec ce que vous m’avez promis. Mais, je vous le répète, je ne l’ai point cru.

« Adieu, douce et bonne Lucile, aimez-moi et écrivez-moi une lettre bien amicale. Oserais-je vous supplier de présenter mes hommages respectueux à Mme et à Mlle de Châteaubourg, et de dire mille choses honnêtes à monsieur ? »

Cependant le mal de la pauvre Lucile augmentait, et elle entrait dans un funeste silence. Mme de Chateaubourg, cette sœur de M. de