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mal réel pour aller combattre un mal imaginaire. Le mot de révolution sociale, devenu aujourd’hui, pour notre malheur, une expression banale et courante, se trouvait alors dans l’esprit de peu de gens, et n’était dans la bouche de presque personne. On signalait beaucoup d’autres périls, on oubliait celui-là. M. le duc d’Orléans avait su le voir. Ceci n’est pas une conjecture ; c’est une assertion appuyée sur un document irréfragable que certes je n’aurais pas désigné le premier à la publicité, même la plus restreinte, mais qui déjà y a été livré. Une intuition prophétique lui montrait la lutte dans un avenir que sa mort a rapproché. Certes, une telle prévision n’est pas d’un homme ordinaire, quoi qu’en dise l’écrivain qui parle du loyal duc d’Orléans avec une légèreté si étrange. S’il l’avait connu, il aurait fait de lui un portrait tout opposé. Au lieu de nier son intelligence, il lui en aurait peut-être reproché l’excès ; il aurait dit que parfois la faculté de saisir vite toutes les questions jetait quelque incertitude sur l’exercice de sa volonté, qu’à force de tout comprendre, il hésitait à choisir. Encore n’était-ce que dans des circonstances secondaires ; les grandes lignes de conduite étaient d’avance tracées dans son esprit. M. le duc d’Orléans avait ses défauts comme les autres hommes, mais il n’avait aucun de ceux qu’on lui impute ici. D’ailleurs, cette flexibilité d’appréciation, cette abondance de ressources, auraient présenté d’incontestables avantages en amenant à temps des transactions nécessaires auxquelles il se serait prêté d’autant mieux qu’il y était préparé d’avance. Il n’aurait pas eu besoin de combattre à outrance contre l’impossible. Son caractère un peu défiant, surtout envers le sort, l’aurait certainement garanti des illusions de l’optimisme, armure brillante et fragile qui couvre et soutient tant qu’elle est intacte, mais qui, au moindre choc, tombe tout entière et se brise en mille éclats. M. le duc d’Orléans était même porté à une disposition toute contraire. Selon l’expression consacrée, il voyait assez volontiers en noir. Il avait l’esprit gai et le caractère sérieux, combinaison qui mûrit l’intelligence, mais ne contribue pas au bonheur. Sur le faîte d’une fortune qu’il portait sans humilité et sans orgueil, avec un sentiment vrai de sa valeur individuelle et de la grandeur de son origine, il se sentait pris quelquefois d’une mélancolie involontaire ; mais cette vague tristesse n’affaiblit jamais ni son activité ni son courage : on aurait dit plutôt qu’il se hâtait d’agir et de vivre. Aucune carrière aussi courte n’a été mieux et plus complètement remplie. Il avait déjà donné beaucoup plus que des espérances. Brave et spirituel, généreux et magnifique, supérieurement désintéressé ; dévoué à ses amis, capable d’en avoir et digne de les conserver ; d’une discrétion à toute épreuve, injustement soupçonnée de dissimulation, il était devenu le favori de la France. Tous les jours elle apprenait à le connaître et s’attachait de plus en plus à ses aimables vertus. À l’exception