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ébranlée et près de céder à l’effort des assaillans. Ceux-ci, repliés sous le guichet du Carrousel, marchaient droit sur le château, qu’ils n’avaient osé attaquer plus tôt, dans la crainte d’y trouver de la résistance. Plus enhardis maintenant, ils allaient forcer la grille, même plusieurs d’entre eux avaient pénétré dans la cour. Ce fut dans cet intervalle de quelques minutes seulement que Mme la duchesse d’Orléans put gagner le jardin des Tuileries par le pavillon de l’Horloge ; elle n’y réussit qu’en pressant le pas le long des murs. Elle tenait M. le comte de Paris par la main ; derrière elle, on portait le petit duc de Chartres, malade, grelottant de la fièvre et enveloppé de manteaux. Ils traversèrent le jardin au milieu d’une foule tumultueuse, qui cependant n’avait rien d’hostile. On criait vive la duchesse d’Orléans ! vive le comte de Paris ! Les soldats placés dans l’intérieur présentaient les armes ; on battait aux champs, derniers honneurs rendus à la royauté. Ce fut ainsi que la princesse arriva au Pont-Tournant ; mais elle n’y trouva ni les personnes ni les voitures qu’on lui avait annoncées. Elle ne put se concerter avec M. le duc de Nemours, resté à l’arrière-garde pour donner des ordres. Ne se trouvant plus à la portée de son beau-frère, entraînée par les conseils de quelques-uns des hommes politiques qui l’avaient suivie, elle se dirigea sur la chambre des députés.

Tout en rendant justice à son courage dans ce moment décisif, on a quelquefois blâmé la résolution qu’elle prit alors. Il fallait, disait-on, tourner du côté opposé, marcher droit sur les boulevards, se faire voir et montrer ses enfans au peuple. Ainsi avait agi autrefois Marie-Thérèse. Son fils dans les bras, elle avait entraîné la nation hongroise tout entière. Vive le roi Marie-Thérèse ! avaient crié les Magyars ; vive la régente Hélène ! auraient crié les Français… En vérité, c’est étrangement méconnaître les lieux et les temps. Quel effet aurait pu produire la nouvelle régente sur ce peuple en révolution, sur cette armée si profondément découragée, qui avait reçu l’ordre de mettre la crosse en l’air ? La troupe lui aurait répondu par le silence, l’émeute par des coups de fusil. Sans doute, elle n’aurait point pâli devant la mort ; mais à quoi aurait servi ce sacrifice, si ce n’est à rendre la révolte plus indomptable et la révolution plus assurée ? Et d’ailleurs aurait-elle seulement été aperçue de tout ce peuple ? Le succès des grands événemens tient souvent à de bien faibles mobiles. Le costume semble une chose bien frivole ; l’éclat extérieur est cependant nécessaire dans ces occasions tumultueuses, et lorsque le prestige en est détruit, comme il l’est désormais parmi nous, c’est une arme de plus brisée dans les mains de la monarchie. Marie-Thérèse portait le vêtement national : un blanc panache flottait sur sa tête, la pourpre et l’hermine couvraient ses épaules, un sabre sonnait à sa ceinture. Aujourd’hui tout cet attirail serait renvoyé