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sur les planches d’un théâtre ; il ne pourrait produire aucun effet, ou plutôt il produirait un effet contraire à l’enthousiasme. Et pourtant, comment dominer la foule, comment s’en faire apercevoir dans le costume de tous les jours et de tout le monde, sans marque distinctive, sans insignes particuliers, sans parler aux yeux par un moyen quelconque ? En se rendant sur les boulevards et dans les rues, Mme la duchesse d’Orléans ne pouvait que s’y faire tuer pour rien, ce qui convenait à son courage, mais répugnait à sa raison. En allant droit à la chambre, la princesse rendait hommage au principe qui faisait l’essence, l’honneur de sa dynastie et de son parti. À défaut de la légitimité, la royauté de juillet avait la légalité ; elle devait la conserver. Louis-Philippe ne s’en était jamais écarté, et cette fidélité même contribua à sa perte. Il est permis de ne point s’associer à tous les actes de la politique de ce prince ; mais, malgré l’événement, ce n’est point par ce côté qu’elle est attaquable. La foi dans la légalité honora seule la chute du trône. Mme la duchesse d’Orléans ne pouvait pas répudier le principe qui l’attachait solidairement à sa famille et à sa cause. Elle alla donc à la chambre des députés, et, au risque de ce qui en arriverait, c’est là, c’est là seulement qu’elle devait porter sa douloureuse et rapide régence. Poussée par un cri unanime, elle arriva, à travers les flots de la foule émue, devant le péristyle du Palais-Bourbon. M. le duc de Nemours, la voyant de loin se diriger sur la chambre, s’était hâté de la rejoindre, résolu à ne pas l’abandonner. Homme du devoir, il se plaçait auprès de la nouvelle régente ; aussi un des députés qui entouraient Mme la duchesse d’Orléans s’étant approché du prince pour lui demander s’il ne jugerait pas plus utile de rester en dehors avec les troupes sur la place Louis XV, M. le duc de Nemours répondit : « Hélène court ici des dangers, je ne veux pas la quitter ; ne me conseillez pas d’abandonner la femme de mon frère. » Peut-être lui donnait-on un avis salutaire et opportun, je ne serais pas éloigné de le croire ; mais qui pourrait blâmer une résolution si noble ? et d’ailleurs combien le blâme aurait-il été plus assuré et plus général, si on n’avait pas vu M. le duc de Nemours auprès de sa belle-soeur ! Il ne la quitta plus un seul instant.

Le cortège traversa la salle des Pas-Perdus. Bientôt une foule de députés et d’individus étrangers à la chambre déboucha de tous les couloirs et entoura la princesse, au risque de la priver d’air. « Point de princes ! s’écria un homme investi depuis d’un emploi diplomatique (quelle préparation à la diplomatie !). Point de princes ! nous n’en voulons pas ici ! » Après avoir écarté des furieux qui se précipitaient au-devant de Mme la duchesse d’Orléans pour empêcher son entrée dans la chambre, on la dégagea de la presse et on la fit entrer dans la salle