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qu’elle était debout, essayant de se faire écouter, il prit lui-même la parole. Alors, dans l’impossibilité de faire comprendre qu’elle voulait parler, Mme la duchesse d’Orléans fut contrainte de se rasseoir. M. Ledru-Rollin, M. de Larochejacquelein, montèrent tour à tour à la tribune, lorsqu’une bande d’ouvriers en blouse, en bourgeron, parmi lesquels on voyait des gens d’une classe toute différente qu’on reconnaissait à l’élégance de leurs vêtemens, tous le fusil sur l’épaule, tambours battans et drapeaux déployés, se précipitèrent dans la salle, poussant des cris affreux et proférant d’horribles menaces. Un insurgé parut tout à coup dans l’hémicycle envahi et brandit un drapeau à la droite de la tribune. « Il n’y a plus de royauté ! s’écrie cet homme : les Tuileries sont prises, le trône est jeté par la fenêtre ! » Un autre vexillaire se place à la gauche de la tribune. On s’y presse, on s’y pousse, on s’y heurte : tous veulent parler à la fois ; l’escalier est escaladé, le désordre est à son comble. Il est inutile de chercher à le peindre ; il est présent à tous les souvenirs, constaté par tous les documens, par le Moniteur lui-même. C’est ici pourtant qu’il faut relever une erreur grave du journal officiel. Après avoir rendu compte de cette scène tumultueuse, il fait disparaître Mme la duchesse d’Orléans ; il lui fait quitter la salle avant le discours de M. de Lamartine[1]. Nous ne voulons pas croire cette erreur volontaire ; quoi qu’il en soit, elle est importante, elle est capitale, et, dans l’intérêt de l’histoire surtout, elle doit être soigneusement relevée. La vérité est que, lorsque M. de Lamartine parut à la tribune, Mme la duchesse d’Orléans était devant lui. « Messieurs, dit l’orateur, j’ai partagé aussi profondément que qui que ce soit parmi vous le double sentiment qui a agité tout à l’heure cette enceinte, en voyant un des spectacles les plus touchans que puissent présenter les annales humaines, celui d’une princesse auguste se défendant avec son fils innocent, et venant se jeter du milieu d’un palais désert au milieu de la représentation du peuple… »

À ce langage harmonieux et pacifique, les amis de l’ordre crurent la monarchie sauvée ; ils respirèrent. L’un d’eux, qui se trouvait alors le plus rapproché de Mme la duchesse d’Orléans, lui témoigna par ses regards l’espoir dont il se sentait pénétré ; mais, d’un signe presque imperceptible de la main, la princesse lui fit comprendre qu’elle ne partageait pas ses illusions. Tandis qu’on la saluait de l’épée, elle en avait senti la pointe appuyée sur le cœur. Bientôt le glaive s’y enfonça tout entier. M. de Lamartine continua : de vaines espérances tombèrent

  1. « Les regards se portent vers le sommet de l’amphithéâtre, où s’étaient assis la duchesse d’Orléans et ses enfans ; mais, au moment de l’invasion de la salle par la multitude, la princesse, les princes et ceux qui les accompagnaient sont sortis par la porte qui fait face à la tribune… MM. Crémieux, Ledru-Rollin et de Lamartine paraissent en même temps à la tribune, etc., etc. » — Moniteur du vendredi 25 février 1848.