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toutes à sa voix ; les clameurs s’élevèrent plus furieuses. Pendant toute la durée du discours de l’auteur des Girondins, un homme en blouse, un sabre nu à la main, s’était posté au pied de la tribune, les yeux obstinément attachés sur le visage de l’orateur ; dès que M. de Lamartine eut fini de parler, cet homme remit son sabre dans le fourreau en criant : À la bonne heure !

Vers la péroraison, le bruit du dehors s’était violemment accru : on entendit des coups de crosse de fusil briser les portes de la tribune diplomatique, qui se remplit d’hommes armés. La chambre était prise d’assaut. Le président disparut derrière le fauteuil. La portion de la chambre entre Mme la duchesse d’Orléans et la tribune de droite fut dégarnie en un clin d’œil. La princesse resta comme un point de mire aux fusils braqués sur elle. Elle consentit alors à se retirer devant la force. L’assemblée s’était levée tout entière avec un grand bruit. Pendant le tumulte, un huissier de la chambre, vêtu en garde national, prit M. le comte de Paris dans ses bras. La princesse le suivit, tenant M. le duc de Chartres. Elle monta dans le couloir circulaire des pairs de France, longea ainsi la salle et sortit par la porte située au haut de l’extrême gauche. Là se passa une scène terrible dans un passage sombre et étroit, ouvert sur le palier d’un petit escalier tournant. La princesse fut séparée de sa suite par la foule effrayée, qui descendait des tribunes comme un torrent. Elle se sentit heurtée et rejetée contre la muraille, tandis que son faible cortége, allongé dans ce défilé à peine assez large pour le passage d’une seule personne, avait disparu, rompu et brisé par la foule. Tout à coup un homme d’une figure effroyable se jeta sur le comte de Paris, l’enleva de terre et lui serra la tête dans ses mains comme dans un étau, appuyant ses larges pouces sur les yeux de l’enfant. La pauvre mère crut qu’on voulait les arracher de leurs orbites. Elle se précipita sur l’assassin, et, avec le secours d’un garde national, lui fit lâcher prise. L’enfant tomba. Le petit duc de Chartres disparut, emporté par un passant. Nous verrons tout à l’heure comment ils furent retrouvés tous les deux. Mme la duchesse d’Orléans fut alors violemment séparée de ses fils. Entraînée, étouffée, presque jetée au bas de l’escalier, elle y resta, appelant ses enfans avec des cris douloureux. Elle se croyait arrivée à sa dernière heure.

Elle avait raison de le croire. Un prodige pouvait seul la sauver, et pourtant on vient nous dire après coup qu’en la traitant de la sorte, elle et ses enfans, on agissait dans leur intérêt ; on se vante même de l’avoir sauvée, on semble presque compter sur sa reconnaissance. « Que fût-il arrivé, dit-on ([1], si un de ces hommes courageux qui étaient à la tribune eût dit : « Ayez pitié de cette femme et de cet enfant ! Ne vous contentez

  1. Le Conseiller dag Peuple, premier numéro, page 11-15.