Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/855

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

répondait à tous… Toujours résolue, jamais agitée, elle délibérait, ordonnait sans trouble, sans confusion, avec une présence d’esprit à la fois ardente et calme. Elle ne fut régente que pendant ces six heures, mais elle le fut.

Tant d’intrépidité dut fléchir devant une nécessité inexorable. Des rumeurs menaçantes se succédaient et se rapprochaient ; toutes les espérances des amis de la dynastie se détachaient une à une. Des avis auxquels la princesse ne pouvait opposer que la résignation lui apprirent que c’en était fait. « On connaissait déjà sa retraite aux Invalides… Déjà les hordes insurgées se préparaient à violer cet asile… Comment leur résister avec des piques, car on n’avait pas d’autres armes ?… Il n’y avait plus ni troupes, ni gouvernement, ni ministres… La régence était devenue impossible… Pour en prévenir l’établissement, des fanatiques ou des sicaires pouvaient aller jusqu’à l’assassinat… Il n’y avait plus de sûreté, ni pour les fils ni pour la mère ; tous périssaient sans utilité pour la France. » Voilà les paroles sinistres qui retentissaient autour de la princesse : elle résistait encore ; alors on lui conseilla de se retirer secrètement dans une maison particulière, en laissant croire qu’elle était restée aux Invalides, afin d’assurer sa fuite, si l’hôtel était envahi, ou d’y rentrer dans l’hypothèse d’une réaction monarchique. Mme la duchesse d’Orléans rejeta hautement ce dernier parti. Elle déclara qu’elle ne voulait pas de ce qu’elle appelait une supercherie, que surtout elle ne voulait pas exposer les invalides sans partager leurs dangers. « Je reste tout-à-fait ou je m’en vais tout-à-fait, » s’écria-t-elle avec une émotion généreuse peu éloignée d’une sorte d’indignation. Elle se décida enfin à se laisser conduire par ses amis dans la maison de l’un d’entre eux, située dans le voisinage, et sortit par une porte qui donne sur l’avenue de Tourville. Mme la duchesse d’Orléans était restée aux Invalides depuis deux heures après midi jusqu’à sept heures du soir. Elle passa toute la matinée du 25 dans sa retraite hospitalière ; mais il fallut en repartir le lendemain. L’esprit des campagnes paraissait inquiétant ; la république était proclamée à Paris. À l’aide d’un peu d’argent ramassé à la hâte et d’un passeport étranger, la princesse et ses fils, accompagnés d’un ami, prirent le chemin de fer dans la soirée du 26. Cette nuit-là, ils couchèrent à Amiens ; le lendemain, à Lille ; puis, après avoir traversé la Belgique sans s’être livrée à la joie douloureuse d’aller embrasser à Bruxelles sa sœur chérie, sa meilleure, sa plus constante amie, Mme la duchesse d’Orléans passa la frontière et s’arrêta à Ems. Quelque temps après, elle se retira à Eisenach, dans les états du grand-duc de Saxe-WVeimar, son oncle. Elle y réside encore en ce moment, avec MRe la grande-duchesse douairière de Mecklembourg-Schwerin, sa belle-mère ou plutôt sa mère.