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On avait retardé le scrutin de quelques heures pour laisser aux dissidens de la veille le temps d’écouter les conseils de la raison et de revenir à leur poste. Ils revinrent en effet, ramenés par M. d’Itztein, et dissimulant tant bien que mal une confusion trop méritée. Il ne restait plus qu’une seule question à résoudre. Plusieurs députés influens voulaient écrire à grands traits une déclaration de droits, une magna charta, comme on disait à l’église Saint-Paul. Qui pouvait, en effet, se fier complètement à l’avenir ? Un jour, si la révolution est vaincue, cette grande charte sera l’idéal auquel se rattacheront les ames d’élite. Ainsi pensait M. Biedermann de Leipzig, et il était l’organe d’une partie de l’assemblée. D’autres, au contraire, s’associant aux scrupules de M. Eisenmann, craignaient d’outre-passer leurs pouvoirs. « Gardons-nous bien, s’écriaient-ils, de nous attribuer une tâche qui n’appartient qu’au vrai parlement national ! » Alors un des chefs de l’ancienne opposition libérale à Carlsruhe, M. Alexandre de Soiron, député de Mannheim, essaie au moins de faire consacrer un de ces droits fondamentaux, le plus décisif de tous, le droit de la souveraineté du peuple. Comme l’assemblée craint d’usurper la mission du futur parlement, M. de Soiron a recours à une tactique habile ; il propose ce décret : « La tâche de reconstituer l’Allemagne appartient seulement et uniquement (allein und einzig) à l’assemblée nationale. » C’était renvoyer à l’assemblée future la discussion des droits fondamentaux, en même temps que l’on consacrait d’avance le plus important de tous ces droits. Si ingénieuse qu’elle fût, cette manœuvre ne réussit pas immédiatement, et il fallut que M. de Soiron montât plusieurs fois à la tribune pour expliquer, pour atténuer sa proposition. M. de Soiron, en effet, attaquait là une question grave ; il voulait que l’assemblée toute seule, sans le concours des souverains, constituât l’unité allemande, et, excluant de cette œuvre si difficile ceux-là précisément dont il fallait se concilier l’appui, il ouvrait à la révolution les abîmes où elle s’est perdue. Des esprits sérieux pressentirent le danger ; un député de Hanovre, M. Siemens, d’une voix brève et hautaine, protesta en quelques mots au nom des pouvoirs qu’on prétendait exclure. M. Welcker combattit aussi M. de Soiron, tandis que M. Jaup proposait tout simplement une déclaration de droits très généraux qui ne créait aucune difficulté pour l’avenir. Rappelé à la tribune par le discours de M. Welcker, M. de Soiron assure qu’il n’entend pas exclure les souverains ; il veut seulement faire décréter le droit absolu de la future constituante ; c’est elle qui décidera si elle doit agir seule ou se concerter avec les gouvernernens. Ainsi expliquée, la proposition de M. de Soiron est admise ; la souveraineté du peuple est proclamée ; les notables ont terminé leur mission.

C’est alors qu’on vit éclater toute la joie candide, toutes les généreuses illusions de ce premier parlement. On avait oublié déjà les tristes incidens de ces discussions orageuses ; une même foi semblait réconcilier