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reculera d’un bond vers les luttes de l’état sauvage, tandis que le gouvernement de celui-là verra simultanément disparaître jusqu’aux factions politiques qui sont l’inévitable cortège des situations les mieux organisées… » Je le demande : qu’aurait-on répondu à l’homme qui aurait tenu ce langage ? Qu’il était prophète à bon marché. L’histoire de l’humanité n’abonde-t-elle pas en retours aussi étranges ? Mais si cet homme eût ajouté soudain : « Ce déplacement de rôles, qui semble supposer le lent travail de plusieurs siècles, s’accomplira avec la rapidité d’un coup de théâtre ; ce pays qui fera envie, c’est l’Espagne ; ce pays qui fera pitié, c’est la France, et l’été de 1848 se lèvera sur ces horizons déplacés !… » On n’aurait vu dans cette prédiction que le rêve maladif d’un fou. Le rêve se serait pourtant réalisé mot pour mot. Cette extravagante imagination qui nous eût fait sourire, c’est toute l’histoire des six premiers mois de 1818.

Ai-je besoin de justifier un seul trait de ce tableau en ce qui concerne la France telle qu’elle s’offrait à l’observateur vers le milieu de 1848 ? L’état en déficit, les particuliers en faillite, la progression des charges égalant presque en rapidité, pour les particuliers comme pour l’état, l’effrayante décroissance des revenus, voilà pour notre situation matérielle. Un peuple jusqu’ici admiré, même dans ses emportemens les plus désordonnés, pour la générosité de ses passions, et qui en vient tout à coup à préméditer contre le reste de la société une attaque de grand chemin ; une classe moyenne qui assiste, quatre mois durant, avec une froide curiosité à la violation des principes les plus tutélaires, et ne retrouve son héroïsme perdu que le jour où la question de civilisation ou de barbarie qui s’agite est devenue, pour elle, une question de comptoir et de mobilier, voilà pour notre situation morale. Des rois qui nous rendaient responsables de la révolution européenne, des peuples empressés à s’armer contre nous de l’idée de nationalité que nous leur avions lancée, voilà pour notre situation diplomatique. Eh bien ! dans cette terrible période que limitent pour nous février et juillet, l’Espagne s’est relevée presque autant que nous nous abaissions. Brusquement isolé de la France par la chute de la famille qui personnifiait l’alliance des deux pays, le gouvernement espagnol, disait-on, n’avait plus qu’à se livrer à discrétion à l’Angleterre, qui ne manquerait pas de lui faire payer cher les mécomptes diplomatiques de 1846. Qu’a gagné cependant l’Angleterre à formuler ses prétentions ? L’expulsion de son ambassadeur. La faction radicale et la faction absolutiste, qui, jusque-là, se relayaient pour attaquer la monarchie d’Isabelle, ont combiné tout à coup leurs efforts ; l’Angleterre les a ostensiblement patronés, et qu’a produit ce triple assaut ? Pas même l’ébranlement du ministère Narvaez. Pour la première fois, depuis cinquante ans, l’Espagne s’est montrée indépendante au dehors, calme et homogène au