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directement en Espagne. Les rancunes du Foreign-Office devaient, comme on voit, les poursuivre jusqu’au terme du périlleux pèlerinage que cet odieux refus leur avait imposé.

Voilà donc le secret de la mystérieuse confiance de M. Bulwer. Au moment même où le gouvernement espagnol se félicitait d’avoir étouffé la révolution au centre, la révolution, d’après les calculs de M. Bulwer, allait éclater simultanément à toutes les extrémités, et le cabinet Narvaez, emprisonné dans ce cercle menaçant, devait le premier demander grace. La déception fut cruelle pour l’agent britannique ; l’incendie qu’il avait mis deux mois à préparer n’avait duré que le temps nécessaire pour éclairer la main qui tenait la torche. En présence de cet échec décisif, M. Bulwer ne se fit plus trop prier, et quitta enfin Madrid.

M. Bulwer n’était pas plus tôt parti, que tout changeait de face en Espagne. Madrid renaissait, pour ainsi dire, à sa vie normale. La fiévreuse inquiétude, les vagues terreurs qui, depuis le 26 mars, surtout depuis le 7 mai, agitaient les habitans, et qui se traduisaient par l’interruption complète des affaires, avaient disparu avec l’homme qui en était la cause vivante. L’état de siège, la suspension des garanties constitutionnelles, ne se révélaient plus que par la sécurité insolite de la population et par l’absence significative des principaux meneurs progressistes, qui avaient jugé prudent de prendre des passeports anglais en même temps que M. Bulwer prenait ses passeports espagnols. Enfin, comme si tous les succès devaient couronner à la fois la patiente, mais vigoureuse attitude du cabinet de Madrid, les journaux de Londres lui apportaient l’approbation anticipée de l’opinion et du parlement anglais.

J’avais hâte de sortir de ces tristes détails. Non, l’odieuse intrigue élaborée au Foreign-Office n’avait pour complice ni l’Angleterre, ni son gouvernement. Avant même d’en connaître l’issue, sans vouloir prendre conseil du succès ou de la défaite, à la simple révélation des premières dépêches échangées entre M. Bulwer et le duc de Sotomayor, la Grande-Bretagne avait protesté par toutes ses voix contre l’étrange attitude de l’ambassade de Madrid. Aux applaudissemens prolongés de la chambre haute, lord Stanley et lord Aberdeen désavouaient, l’indignation aux lèvres, le rôle que faisaient jouer à l’Angleterre lord Palmerston et M. Bulwer ; ils déclaraient que l’Espagne n’aurait pu, sans se déshonorer, subir les prétentions outrageantes du Foreign-Office, et ils sommaient celui-ci de couvrir l’honneur britannique par une rétractation loyale. Dans la chambre des communes, une enquête était impérieusement exigée et allait être poussée jusqu’aux dernières limites, sans l’empressement généreux de sir Robert Peel à étouffer un débat