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s’est vu délivré du même coup des inconvéniens nouveaux et des inconvéniens anciens de l’alliance anglaise, de ceux qu’il repoussait comme de ceux qu’il était résigné à subir, de prétentions qu’il ne pouvait tolérer et d’une reconnaissance à laquelle il n’aurait pas osé de lui-même se soustraire, c’est aux audacieuses manœuvres de lord Palmerston qu’il faut faire honneur de ce triple résultat.

Je n’ai plus besoin de justifier l’étendue que j’ai donnée ici à l’incident Bulwer. Cet incident, presque inaperçu et déjà oublié, n’est rien moins que le point de départ de la régénération de la Péninsule. Il clôt pour elle tout le passé et domine tout l’avenir, son avenir extérieur surtout. Je m’explique. Il n’y a pour tout pays que deux moyens d’influence extérieure : l’épée ou le comptoir, la force qui impose ou l’intérêt qui lie, un puissant état militaire ou un large système d’alliances douanières qui, en appelant sur le marché national le commerce de tous les pays voisins, provoque ces pays à se surveiller l’un l’autre, à neutraliser leurs visées individuelles de prépondérance, à lutter de complaisance et de ménagemens vis-à-vis de la puissance qui leur a ouvert ce marché. Si l’Espagne est si étrangement déchue en Europe, c’est qu’elle a été privée à la fois de ces deux moyens d’action. Le déplorable état de ses finances lui interdit de relever son armée et sa marine. L’élévation de ses tarifs ne se prête à aucune extension de ses rapports commerciaux. Par une triste connexité, ces deux causes de déchéance dérivent ici l’une de l’autre. Si l’Espagne est pauvre, c’est-à-dire militairement faible, c’est qu’elle est commercialement isolée par son régime douanier. Les tarifs actuels ont, en effet, pour le trésor le triple inconvénient d’anéantir la meilleure partie de son revenu extérieur en offrant des encouragemens énormes à la contrebande, de nécessiter une surveillance très coûteuse et de stériliser le revenu intérieur en arrêtant le progrès de la production nationale, qui, sous l’empire de ces tarifs, ne peut espérer aucun débouché sérieux au dehors. Le mal engendre le mal : la pénurie du trésor, l’impossibilité où se trouve le gouvernement espagnol de rétribuer le personnel administratif, entretiennent, surexcitent chez celui-ci des habitudes de concussion, qui, en dehors de leurs inconvéniens moraux, sont pour les finances publiques une cause nouvelle de dépérissement. Le développement de la contrebande constitue d’autre part l’état en lutte permanente avec une population nombreuse où se recrute le personnel de toutes les guerrillas, autre cause de sacrifices pour le trésor, d’abaissement pour le crédit public, de ralentissement dans les affaires privées, et par suite de décroissance de l’impôt. L’Espagne ne peut donc restaurer son crédit, avec son crédit sa force, avec sa force son ascendant extérieur, que par la réforme douanière.