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le cuir le matin et pérorant le soir dans les clubs. Il n’en est rien, et ce point vaut la peine qu’on s’y arrête ; je laisserai M. Grote un instant pour rechercher quelles gens étaient les démocrates d’Athènes, quatre cents ans avant J.-C. — Cléon sans doute était corroyeur, c’est-à-dire qu’il possédait, exploitait des esclaves, lesquels préparaient les cuirs, mais il n’était pas plus artisan que plusieurs de nos candidats parisiens aux élections de 1848 n’étaient ouvriers, bien qu’ils en usurpassent le titre. Un homme libre ne travaillait guère de ses mains à Athènes, et comment cela lui aurait-il été possible ? Tout citoyen d’Athènes était à la fois juré, soldat et marin. Tantôt il lui fallait siéger dans sa dicastérie, et passer souvent plusieurs journées à juger des procès, moyennant trois oboles par séance ; tantôt on le plaçait devant une rame et on l’envoyait en station pour plusieurs mois dans l’Archipel ; ou bien, couvert des armes qu’il lui fallait acheter de ses deniers, il partait pour la Thrace ou la côte d’Asie, payé, il est vrai, un peu plus cher qu’un juge, lorsqu’il possédait un cheval ou bien les armes d’uniforme dans l’infanterie de ligne. S’il eût été artisan, que seraient devenues cependant ses pratiques ? qui aurait pris soin de sa boutique et des instrumens de son métier ? L’homme libre, le citoyen se battait, votait dans l’agora, jugeait au tribunal, mais il aurait cru s’avilir en faisant œuvre de ses dix doigts. Pour travailler, on avait des esclaves, et tel qui n’aurait pas eu le moyen d’avoir un bœuf dans son étable était le maître de plusieurs bipèdes sans plumes ayant une ame immortelle. Ces esclaves faisaient les affaires domestiques et exerçaient la plupart des métiers, concurremment avec un certain nombre d’étrangers qui, protégés par les lois d’Athènes, faisaient fleurir l’industrie dans la ville, à la condition de ne jamais se mêler de politique. On sait que s’immiscer des affaires de la république, pour un étranger domicilié, pour un métoeque, c’était un cas pendable.

On est tenté de se demander si cette abominable institution de l’esclavage n’était pas intimement liée avec l’existence des démocraties antiques, et si elle n’était pas au fond la base de l’égalité politique entre tous les citoyens. Dans l’antiquité, nul homme libre ne devait son existence à un autre homme libre. C’était de la république seule qu’il recevait un salaire, et, son esclave étant sa chose, il pouvait se dire à bon droit qu’il n’avait besoin de personne. La différence de fortune marquait cependant des distinctions inévitables entre les citoyens ; mais comment ne pas reconnaître pour son égal celui qui délibère avec vous dans le même tribunal, qui serre son bouclier contre le vôtre dans la même phalange ou sur le même vaisseau ? Ajoutez que, débarrassé par ses esclaves des préoccupations de la vie matérielle, le citoyen d’une ville grecque demeurait tout entier à la vie politique. Il avait le temps d’apprendre les lois de sa patrie, d’en étudier les institutions et de se