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équitables, il fallait voir à quelles récriminations de leurs amis, à quelles méfiances de leurs anciens adversaires cette tentative patriotique les laissait en butte. Toute prétention de mettre au pas les ambitions et les vanités était accueillie avec une humeur mal déguisée et une raillerie de bon goût dans cette société que la moindre règle fatigue, que la moindre supériorité offusque, et où tout ce qui reste de discipline semble, par un piquant contraste, s’être réfugié dans le camp des partis anarchiques. Et le gouvernement, ce gouvernement appelé de tant de voeux, entouré de tant d’écueils, marchant sur un terrain mobile, en présence d’une hostilité acharnée et sous le feu d’une conspiration permanente, quel appui trouvait-il dans ceux qui l’avaient porté là ? Il était le gouvernement ; c’est tout dire. N’est-il pas convenu, en France, que le gouvernement est né pour servir d’exercice à la critique des bons esprits ? N’est-il pas convenu qu’on doit demander toute protection au gouvernement et ne lui prêter jamais aucun appui ? Tout gouvernement n’est-il pas, sous peine de mort, condamné à être infaillible ? Voilà à quels jeux nous nous livrions de nouveau sur la glace à peine épaissie qui nous séparait de l’abîme. Dieu merci ! cette fois l’abîme n’a fait que s’entr’ouvrir sous nos pas, juste assez pour nous effrayer, pas assez pour nous engloutir.

Nous voudrions en effet, en examinant de sang-froid la situation nouvelle que les élections nous ont faite, conserver ce qu’il y a de salutaire dans cet effroi sans affaiblir à nos propres yeux tout ce qui nous reste de moyens et de garanties de salut. Une assemblée dont les deux tiers au moins sont sincèrement dévoués à notre cause, tel est le produit de ces élections, qui ont donné lieu à tant d’espérances et à tant de craintes. C’est bien assez pour nous défendre ; nous sommes heureux que ce ne soit pas assez pour nous rassurer complètement. Si cette assemblée comprend son rôle, tel au moins qu’il nous apparaît, c’est à nous maintenir dans cet état, non pas d’alarmes, mais de vigilance, qu’elle doit travailler sans relâche. Sa tâche est de nous convaincre de la profondeur de notre mal autant que de nous en préserver. La perte a été dans l’illusion. Le salut est dans la lumière. Qu’aucune tranquillité de la surface ne lui fasse donc perdre de vue ce qui s agite à des couches où notre regard pénètre difficilement, ce qui se médite dans ces retraites où la révolution a depuis long-temps l’habitude de faire sa veillée d’armes dans l’ombre et dans le silence ; qu’aucune question accessoire, qu’aucun intérêt passager ne vienne distraire son attention. L’assemblée doit faire en sorte qu’entre le socialisme et la société aucun nuage ne s’interpose.

Autant qu’on en peut juger par la simple liste des noms propres, la nature de sa composition lui rend cette position nette non-seulement facile, mais obligatoire. Il n’est personne qui n’ait remarqué quelle