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Alors commence la série des souverains nationaux, qui se termine par l’abdication de Michel Apafy. Cette période dure environ cent soixante-quinze années. C’est, à vrai dire, la seule époque où la Transylvanie ait une histoire particulière, encore cette histoire est-elle incessamment mêlée à celle de la Hongrie.

Les impériaux et les Turcs se disputaient avec acharnement la possession de ce malheureux royaume. Après les fortunes diverses qui conduisirent deux fois les armées ottomanes sous les murs de Vienne (1529 et 1683), la paix de Carlowitz rejeta définitivement les Turcs hors de la Hongrie. Pendant cette longue lutte, interrompue à peine par de courtes trêves, les princes transylvains furent réduits à se placer, tantôt sous la protection de l’empereur, tantôt sous celle des Turcs. Souvent deux compétiteurs, appuyés l’un par l’Autriche, l’autre, par le sultan, ajoutaient les horreurs de la guerre civile aux malheurs de cette guerre implacable de peuples et de religions. Quand on parcourt les historiens contemporains, on ne voit que villes prises, reprises et incendiées, habitans passés au fil de l’épée ou poussés en captivité, comme des troupeaux, dans les plaines de la Bulgarie. À ces désastres périodiques des guerres turques et impériales venaient se joindre les invasions des Tartares, qui pénétraient par bandes à travers les passages de la Moldavie, se jetaient sur les habitations écartées, les pillaient, tuaient les vieillards, et emmenaient en captivité les femmes et les jeunes hommes.

La Transylvanie, avec le littoral de la mer Noire, avait alors le triste privilège de remplir d’esclaves les sérails de Constantinople. Ainsi que les Mamelouks en Égypte, plusieurs de ces captifs étaient adoptés par leurs maîtres, et revenaient souvent commander, au nom des Turcs, dans leur ancienne patrie. De là ces mœurs à demi turques et ces habitudes barbares qui contrastaient étrangement avec les manières, les idées et les sentimens que les insurgés hongrois et transylvains rapportaient aussi de la France et de Versailles.

Il y avait chez un noble transylvain de ces temps une moitié de Turc et une moitié de gentilhomme français : tel qui avait été esclave en Crimée ou dans quelque honteux sérail de Constantinople allait plus tard solliciter en France les secours de Louis XIV. Il revenait, se débattant le reste de sa vie entre les deux natures que cette double éducation avait mises en lui : tantôt implacable à ses ennemis, féroce et grossier jusque dans ses plaisirs ; tantôt, sous l’influence des images de politesse et de galanterie qu’il avait entrevues, arrivant jusqu’aux idées les plus chevaleresques et à des raffinemens de tendresse que n’eussent point désavoués les héros de Mlle de Scudéry. Dans les châteaux, on avait le goût de la belle société, la vie et la conversation françaises y avaient pénétré, et à quelques pas de ces retraites il se passait des scènes et des aventures qui semblent réservées exclusivement à l’histoire des