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pour solliciter le firman d’investiture. Ce firman ne s’obtenait qu’à prix d’argent ; le pacha d’Andrinople ou de Bude venait remettre au prince un manteau de pourpre, une massue et un étendard ; tout se passait selon l’étiquette des cérémonies turques. On amenait au prince un cheval richement harnaché, sur lequel il faisait son entrée solennelle à Carlsbourg on à Hermanstadt, précédé d’une escorte de janissaires, des seigneurs de la diète qui l’avaient élu, et suivi d’une centaine de chevaux de main conduits par d’habiles palefreniers. Les clairons et les cymbales turques retentissaient ; mais les cloches des églises sonnant à toute volée et les tambours qui battaient à la française semblaient protester contre cette intronisation tout à la turque. Cependant, à peine en possession de sa nouvelle souveraineté, le prince devait recourir forcément aux plus dures exactions. Il devait payer les protecteurs qui l’avaient soutenu à Constantinople, récompenser les seigneurs qui l’avaient élu, acquitter le tribut annuel que la province payait au sultan. Ce tribut surpassait de beaucoup la somme destinée au gouvernement même et à l’entretien du pays ; sous le moindre prétexte, on l’aggravait sans pitié. Légalement la noblesse, comme en Hongrie, ne devait point de contribution. Elle avait toujours grand soin de faire jurer au prince la confirmation de ce précieux privilège avant la cérémonie du couronnement ; mais les Turcs ne s’arrêtaient pas aux scrupules constitutionnels, et si les paysans ne pouvaient suffire aux nouvelles taxes, on forçait les nobles à payer pour eux. Tout était mis en œuvre, les avanies de l’Orient et les expédiens financiers des pays de l’Occident. En 1671, la diète ordonnait un emprunt forcé sur la noblesse ; en cas de non-paiement, les biens devaient être saisis, et, au bout de l’an, le propriétaire mis en prison. En 1666, on paya six fois le tribut ordinaire. La taxe était de cinq écus d’or par maison, et moitié pour celles qui étaient brûlées. Ce procédé laisse loin derrière lui toutes les inventions modernes ; on n’imposait pas seulement la pauvreté et la misère, mais la ruine.


III

Rien ne s’oublie plus vite que les calamités de la guerre et les crimes des révolutions, quand quelque grandeur et je ne sais quel éclat barbare s’attachent à ces temps malheureux. C’est par ce fatal oubli que nous sommes incessamment poussés vers de nouvelles catastrophes, que les infortunes et l’expérience de nos pères nous trouvent sourds et aveugles, et que Ninive détruite suffit à peine à l’instruction d’une génération. Cette rude époque, que les annales contemporaines appellent le monde crucifié (mundus cruciatus), est la seule qui soit chère aux Transylvains et plaise à l’orgueil national ; c’est à elle que se rapportent