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remarqué, à celle des Croates en Hongrie. Partout ceux qui revendiquent le plus haut les droits de la liberté tiennent à la main quelque bout de chaîne qu’ils se gardent bien de lâcher. Les nations ont, moins encore que les individus, la conscience de la justice, et l’égoïsme, décoré du nom de patriotisme, devient une vertu.

Ces notions préliminaires étaient nécessaires pour apprécier le système politique que le gouvernement autrichien a suivi à l’égard de la Transylvanie. Jamais la fameuse maxime divide et impera ne s’est trouvée d’une application plus facile. Le gouvernement ne s’est point refusé aux avantages que cette situation lui offrait ; mais il n’a usé qu’avec prudence et dans de bons desseins de son pouvoir modérateur. Les publicistes hongrois n’hésitent pas à reconnaître que la Transylvanie n’a respiré, n’a connu les bienfaits de la paix et de la justice que depuis sa réunion à l’empire. Il y a des destinées plus hautes sans doute pour les peuples ; mais les peuples doivent pratiquer aussi cette modération de désirs qu’on prêche aux individus, et ne pas s’imaginer qu’il dépend d’aucune réforme, d’aucune révolution ou constitution, fût-elle même démocratique et sociale, de leur apporter la réalisation de souhaits chimériques et quelquefois contradictoires. On a dit que les nations les plus heureuses étaient celles dont l’histoire ne parlait pas c’est ce genre de félicité que le gouvernement autrichien a toujours le plus ambitionné de donner à ses peuples ; en Transylvanie notamment, il n’a jamais cherché le bruit ou la gloire des réformes éclatantes. À l’exception de Joseph II, qui, lui, ne reculait devant aucune témérité, les nouveaux souverains se sont bornés à la tâche déjà assez difficile de maintenir l’ordre entre tant d’élémens divers, et de défendre les droits et les intérêts des plus faibles contre les forts. On n’a point songé à changer radicalement, et en un jour, les conditions de l’état général que nous venons de décrire. Le gouvernement autrichien, on le sait, n’a jamais été animé de l’esprit d’aventure. Il ne croit pas d’une foi aveugle à la logique ; loin d’avoir un ordre social de rechange pour l’humanité comme tant de réformateurs de nos jours, il hésite sur les plus simples questions de réformes politiques. À l’encontre de certains peuples, qui sont disposés à trouver une institution mauvaise parce qu’elle est ancienne, il la croirait plutôt bonne par cette seule raison. « Il y a dans les choses qui durent, » disait un ministre autrichien, « une raison de durée qui mérite qu’elles durent. » Je n’approuve ni ne blâme, j’expose comment et sous l’influence de quelles idées des institutions qui nous semblent si contraires aux règles ordinaires des sociétés ont subsisté jusqu’à nos jours ; ce qu’il nous reste à raconter n’a pas moins besoin que ce qui précède de ces explications.