Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/984

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Non, ils ont aussi le son argentin. Bref, ils me donnent la sensation d’un clair de lune[1]. » Une véritable amitié s’établit bientôt entre eux. Que de fois Chênedollé dut faire en lui-même la comparaison de Joubert à Rivarol ! Deux esprits supérieurs, si élevés et si fins en conversant, deux sources brillantes ; mais Joubert, esprit doux, sans âcreté, véritablement inspirateur, animé d’un souffle clément, d’un foyer de bienveillance qui rayonnait alentour, tandis que chez l’autre, à travers tout, se sentait le fonds de persifflage, comme une bise froide se fait sentir jusqu’en plein soleil. Pendant l’été de 1803, M. Joubert écrivait à Chênedollé, dans un moment où celui-ci était retenu à Paris malade :


Ce dimanche, 19 juin 1803.

« Bonjour, pauvre convalescent.

« Fontanes auroit une grande envie de vous consulter sur les vers de Saint-Cloud, que Paesiello va mettre en musique, et qu’on doit chanter incessamment à l’Opéra.

« Tenez-vous pour bien averti que ces vers ne sont point du tout ceux que nous avons lus dans le Journal de Paris, et que nous avons été tentés de croire siens :

Voilà de vos arrêts, messieurs les gens de goût !

« Il ne faut pas même lui avouer cette méprise qu’il ne nous pardonneroit jamais. Il appelle cela des vers canaille.

« Les siens sont des vers fort honnêtes, puisqu’ils commencent par l’éloge de Racine et de Louis XIV.

  1. Les vers de Chênedollé qui donnaient cette sensation à M. Joubert peuvent être ceux du Mercure du 1er nivôse an IX, ou ceux du 1er prairial même année, car dans les deux morceaux il est question de la lune. Je citerai les derniers tirés d’un Tableau du lac de Genève ; le soleil vient de se coucher :

    Léman ! d’un autre éclat tes flots vont s’enrichir :
    La lune, dans le ciel qui commence à blanchir,
    Se lève et fait glisser sur ta superficie
    De son frère éloigné la splendeur adoucie,
    Et bientôt, de la nuit argentant les rideaux,
    De ses pâles clartés peint tes tranquilles eaux :
    Ainsi l’illusion, des doux songes suivie,
    Jette un rayon mourant sur le soir de la vie.
    Voyez sur le gazon dormir sans mouvement
    Ces feux qui, sur les eaux, flottent si mollement ;
    Phébé s’y réfléchit, et le zéphyr volage
    Caresse tour à tour et brise son image.
    Oh ! combien j’aime à voir, dans un beau soir d’été,
    Sur l’onde reproduit ce croissant argenté,
    Ce lac aux bords rians, ces cimes élancées
    Qui, dans ce grand miroir, se peignent renversées,
    Et l’étoile au front d’or, et son éclat tremblant,
    Et l’ombrage incertain du saule vacillant !
    (Le Génie de l’Homme, chant II.)