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que vous n’ayez pas fait ce travail ; la peine en seroit oubliée en ce moment, et l’ouvrage subsisteroit ; il auroit été excellent. Je ne m’en consolerai point, à moins que vous ne fassiez des notes en contraste ou en parallèle avec les notes de Michaud. Cela seroit bien bon dans un journal.

« Vous me demandiez des nouvelles de mes occupations. Comptez que je vous en demanderai des vôtres. Je ne parle pas de vos vers ; ce sont là des choses sacrées qui doivent se faire en silence, en leur temps et dans le mystère. Mais je voudrois que vous vous fissiez un délassement et une habitude fructueuse de dépenser votre savoir, et de livrer aux eaux courantes cette portion de votre esprit qui ne vous servira de rien si vous ne l’avez que pour vous[1]. Je me donne les mêmes conseils à moi-même, et je les recevrai toujours volontiers de votre part. Je vous remercie de ce que vous m’avez déjà dit à ce sujet. Il me semble que je ne puis pas mieux le reconnaître qu’en vous assurant comme je fais, et comme il est vrai, que, — de toutes les louanges que j’ai reçues en ma vie, il n’en est point qui m’aient fait autant de plaisir que les vôtres. — Je ne sais pas quelle en est la raison ; mais je vous dis le fait : il est certain, et je vous en fais part sans orgueil et sans modestie.

« Portez-vous bien, traitez-moi familièrement ; et, pour dissiper vos chagrins, acceptez sans façon ce que je vais vous proposer.

« Chateaubriand, qui est sans logement, occupera probablement notre appartement à Paris. Cela ne nous gênera aucunement, car nous ne reviendrons qu’au mois de mars. Ce seroit pour vous une grande commodité, une grande consolation de vous trouver auprès de lui. Prenez la chambre de mon fils, cette petite chambre où je vous ai fait boire du vin de Malaga avec de l’eau. Le reste pourra suffire au chargé d’affaires, et vous serez voisins depuis le matin jusqu’au soir. C’est pour vous faire cette proposition que j’ai voulu vous écrire aujourd’hui, quoique la fatigue qui m’en a empêché il y a huit jours ne m’en laisse guère la force. — Voilà qui est dit. C’est à vous à faire le reste. Écrivez-nous un peu souvent. Bonjour. »


Au même.

« Villeneuve-sur-Yonne, 28 février 1804.

« Votre lettre nous fit le plus grand plaisir.

« Comme j’allois y répondre, Chateaubriand arriva[2] et me déclara qu’il se chargeoit de tout.

Il y a près de quinze jours qu’il est à Paris et il ne nous a pas encore écrit ; mais mon frère nous donne de temps en temps de ses nouvelles, et je sais qu’il se porte bien.

« Il se propose, s’il va en Suisse, de vous emmener, — quod utrique bene vertat ! — J’avoue, quant à moi, que je vous regretterai infiniment.

« Vous m’auriez consolé de lui.

  1. Quelle sagesse aimable, délicate et pratique à la fois !
  2. Il s’arrêta un moment à Villeneuve-sur-Yonne en revenant de Rome.