Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/1000

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Par malheur, cette histoire n’est pas une idylle, et je plains de toute mon ame ceux qui s’obstineraient à chercher dans ce récit la fraîcheur, la poésie et la grâce des sentimens.

Veut-on savoir ce qui préoccupait Mlle Levrault pendant que Gaston chevauchait auprès d’elle ? Ce n’était ni la bonne mine de ce jeune homme, ni l’élégance de sa tournure, ni la tristesse de son regard ; c’était son titre de marquis. Elle reconnaissait bien que Gaston était plus jeune, plus beau, mieux tourné que Montflanquin ; mais avant tout Gaston était marquis, Montflanquin n’était que vicomte. Elle se souciait assez peu de la valeur personnelle de son compagnon ; mais il souriait à sa vanité de rentrer à la Trélade avec un marquis. Et puis, quel coup de foudre pour Gaspard ! Elle jouissait par anticipation de sa stupeur et de son dépit. Dérober aux regards de Laure un jeune et beau garçon qui pouvait devenir un jeune et beau mari, Laure n’était pas fille à s’en plaindre ; mais tenir un marquis sous le boisseau, voilà ce que Laure ne pardonnait point. On juge si de pareilles méditations étaient faites pour appeler l’amour. Quant au jeune La Rochelandier, pendant qu’il chevauchait près de Laure dans des sentiers si étroits, que parfois son visage était effleuré par le voile de l’amazone, il songeait malgré lui aux millions de M. Levrault, et, comme Gaston avait l’ame délicate et fière, cette préoccupation aurait suffi pour fermer son cœur à l’amour, si l’amour se fût avisé de rôder autour de son cœur. Tout en souffrant de sa pauvreté, il la respectait et n’eût voulu pour rien au monde l’humilier devant l’opulence. Aussi avait-il pris vis-à-vis de Mlle Levrault une attitude froide, compassée, même un peu hautaine. Si elle eût été pauvre comme lui, à coup sûr il eût remarqué sa jolie taille et sa jolie figure, car Laure était vraiment jolie ; mais, tandis qu’elle ne voyait en lui qu’un marquis, il ne voyait en elle que la fille d’un millionnaire.

Les choses ainsi posées, il n’est pas besoin d’ajouter que la promenade de Laure et de Gaston n’avait rien de bien sentimental. Celui qui eût écouté derrière les haies en eût été pour sa courte honte. Mlle Levrault, qui tenait à prouver au marquis de La Rochelandier qu’elle n’était pas la fille d’un ancien marchand de drap, comme de méchantes langues en répandaient peut-être le bruit dans le pays, parlait à tort et à travers de ses liaisons avec les filles de la plus haute aristocratie. Ses anciennes compagnes de pension, qu’elle détestait si cordialement, étaient toutes devenues ses amies intimes. Gaston, en l’écoutant, ne pouvait parfois s’empêcher de sourire. Elle essaya de l’amener, par d’insensibles détours, à s’exprimer sur le compte de Montflanquin ; mais Gaston imita la réserve et la discrétion de sa mère. Seulement, quand Laure l’interrogea sur Mlle de Chanteplure, il se mordit les lèvres