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SACS ET PARCHEMINS.

Laure l’avait entendu que de reste. Enfin, en observant le jeune La Rochelandier, elle avait compris que Montflanquin n’avait d’un gentilhomme que le nom. La stupeur de Gaspard en apercevant le marquis, l’attitude hautaine et dédaigneuse de Gaston vis-à-vis du vicomte, avaient achevé de lui ouvrir les yeux.

M. Levrault eut beau se débattre et se refuser à rien entendre ; Laure parvint à le mater, et s’exprima avec tant de raison, de conviction et d’autorité, qu’elle réussit enfin à lui mettre la puce à l’oreille.

— Tout ce que je vous demande, dit-elle après avoir ébranlé sa confiance, c’est d’agir prudemment et de ne rien précipiter. Au lieu de courir après le vicomte, restez tranquillement chez vous. Il reviendra, gardez-vous d’en douter. Ce soir ou demain, vous aurez la joie de le voir reparaître. Observez-le, tenez-vous sur vos gardes, et je réponds qu’avant huit jours vous serez le premier à lui signifier son congé.

Bon gré, mal gré, M. Levrault dut se rendre aux conseils de sa fille. Le lecteur n’avait pas attendu jusqu’ici pour deviner que Laure faisait de son père tout ce qu’elle voulait. La journée s’acheva tristement. Le dîner fut lugubre. Le grand fabricant, que n’égayait plus la présence de Gaspard, était d’une humeur de sanglier ; il gronda ses gens à propos de tout, et en mit deux ou trois à la porte. Sa confiance, un instant ébranlée, était, au bout d’une heure, aussi ferme, aussi florissante, aussi robuste que jamais. Il ne comprenait déjà plus que la calomnie eût osé s’attaquer à Montflanquin et ternir ce miroir de la chevalerie. L’espoir de voir son Gaspard reparaître l’avait soutenu jusqu’à la nuit tombante ; mais les étoiles s’allumèrent au ciel, et, comme Marlborough, Gaspard ne revint pas. L’infortuné Levrault tomba dans une mélancolie sombre. Il allait de chambre en chambre, maudissant les La Rochelandier, et redemandant son vicomte à sa fille, comme le vieil Auguste ses légions à Varus.


VII.


Après s’être retourné plus de vingt fois pour voir si M. Levrault ou quelqu’un de ses gens ne le suivait pas, après s’être assis de quart d’heure en quart d’heure le long des haies, afin de donner au grand industriel ou à ses émissaires le temps de l’atteindre, le vicomte était rentré dans le château de ses ancêtres. En quel état, juste ciel ! On se l’imagine aisément. Galaor eut peine à le reconnaître et trembla pour ses gages. Le château se composait d’un tas de pierres éboulées, au milieu desquelles une aile seule restait encore debout ; les beaux-esprits du pays disaient que la maison de Montflanquin ne battait plus que d’une aile. Cette aile obstinée, d’un effet moins rassurant que pittoresque, ne devait pas offrir un abri très sûr lorsqu’il faisait une forte