Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/1051

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce doux et mobile pontife a pourtant passé dans l’opinion fugitive de nos dernières années pour un sage intrépide, pour une ame vigoureuse et constante ! Dieu, nous garde d’effleurer encore d’une atteinte indiscrète un cœur déjà si blessé ; mais nous ne pouvons pas nous dissimuler qu’après avoir contribué beaucoup au déchaînement révolutionnaire par les avances peut-être trop caressante qu’il faisait à la popularité, Pie IX risque aujourd’hui de contribuer à précipiter l’Europe dans des collisions encore plus graves par la passion avec laquelle il se rend impopulaire. Le saint-père n’est, comme nous tous, qu’un homme de ce temps-ci, trop sujet aux impression exagérées des idées incomplètes, trop accessible à ces mouvemens des choses extérieures qui compriment ou qui surexcitent la faiblesse de nos caractères. Sur cette figure presque effacée, dans ce vague sourire, dans ces yeux à demi clos, dans cet air de béatitude facile, ne cherchez pas les traits énergiques des Grégoire et des Alexandre. Combien de fois ne lui est-il pas arrivé, aux heures ardentes de son pontificat, de trembler le lendemain du grand pas dont il s’était enorgueilli la veille ! Combien de fois, par exemple, M Rossi, qu’il n’écoutait point assez dans ses accès d’enthousiasme, a-t-il été obligé de le réconforter dans ses découragemens ! L’homme est ainsi fait chez Pie IX, le pape n’y peut rien, et la sincérité de sa conscience ajoute encore au trouble de a conduite. Livré maintenait tout entier au parti grégorien, qu’il avait repoussé dès son avènement, dominé par l’esprit d’autorité absolue qui règne à Naples, Pie IX semble prendre à tâche de se fermer d’avance toutes les portes par où il pourrait revenir à ses premiers erremens, et nous lui sommes suspects rien que pour les lui rappeler.

La France doit-elle cependant rester l’arme au bras en face de cette politique obstinée à contrarier la sienne ? La France, présente à Rome dans la personne de ses soldats, n’a-t-elle pas quelque droit de se sentir blessée du mépris qu’on professe pour ses vœux les plus naturels ? Peut-elle se figurer qu’elle est allée à Rome pour y restaurer le régime de Grégoire XVI ? Les décorations et les honneurs dont les triumvirs pontificaux et le roi de Naples ont comblé le général Oudinot ne suffisaient pas pour nous convaincre que son expédition eût ce but-là : la lettre à la fois trop particulière et trop publique du 18 août a surabondamment prouvé qu’elle en avait un autre. Cette lettre, pur parler franchement, a provoqué des colères et des sympathies dont nous ne partageons l’excès en aucun sens.

Nos soldats étaient mal logés, nos officiers médiocrement traités par les nouveaux triumvirs ; notre armée ne recevait qu’un très mince tribut de reconnaissance dans les proclamations officielles, les négociations diplomatiques traînaient en longueur, et il faut avouer que le sang-froid et la force d’inertie qu’on nous opposait pouvaient bien aisément venir à bout de nos impatiences, de nos reviremens, des chassés-croisés de nos ambassadeurs. Bref, on gouvernait à Rome devant nous, sans nous et contre nous. M. le président de la république a deux vertus très réelles : la première, de s’identifier de tout cœur à la France et de se croire sûr qu’elle pense souvent comme lui ; la seconde, de se plaire aux initiatives personnelles et d’enlever les positions sans crier gare. Comme ces deux vertus ont fini par lui réussir assez bien, il a souvent l’envie d’en user encore, et, quand l’occasion s’en présente, il a bientôt passé par-dessus les bagatelles. La lettre qu’il écrivit naguère pour encourager l’armée française sous