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seil-général de l’Aube, au sujet de cette même révision, nous a plus satisfaits, et pour n’être pas véhémente, comme celle de M. Denjoy, l’argumentation de M. Casimir Périer n’en était pas moins d’un homme politique. La proposition de M. Périer, à l’inverse de celle qu’on a votée dans la Gironde, tenait scrupuleusement compte du délai marqué par l’article 3 de la constitution comme époque où l’on pourrait la changer. Ce n’était plus ainsi qu’un vœu à distance, une sorte de témoignage d’un état moral du pays, et non pas un commandement impérieux qu’il fallût au plus vite exécuter. M. de Boissy a été battu dans le Cher sur le même terrain où M. Denjoy l’avait emporté dans la Gironde : il a reconnu qu’il n’avait pas l’habitude des plaidoyers heureux.

Le gouvernement avait lui-même appelé les conseils-généraux à dire leur avis sur les questions maintenant ouvertes d’organisation départementale ; il est remarquable que la décentralisation n’a été prêchée à ce propos qu’en termes très mesurés. Dans plusieurs endroits, on a renouvelé le vœu tout-à-fait patriotique que les conseils eussent à se réunir spontanément le jour où, par malheur, l’assemblée nationale serait violée. Les départemens prenant alors l’administration d’eux-mêmes, ce serait au moins une chance d’éviter les commissaires extraordinaires, et nous ne tenons pas du tout à la centralisation qui les leur enverrait. Ce ne sont pas là des bienfaits qui puissent la rendre chère. Les conseils-généraux se sont également préoccupés des difficultés de la situation financière qui les touche de près par l’assiette de l’impôt. On s’est prononcé en masse contre l’income-tax, et les impôts abolis, ceux qui portaient sur les boissons, sur le sel et sur l’échange des lettres, ceux qu’on avait déclarés si impopulaires, ont été presque partout redemandés. Le Loiret et le Cher, département vinicoles, se sont même particulièrement signalés en sollicitant le rétablissement de l’impôt sur les boissons ; il eût été chimérique d’attendre la même abnégation ou la même clairvoyance de la masse des pays vignobles. Il s’agit de savoir si la France fera banqueroute pour l’amour des vignerons. Les intérêts moraux n’ont pas soulevé moins de débats que les intérêts matériels. La multiplication désastreuse des enfans trouvés a inspiré de tristes observations sur l’état des campagnes. Les difficultés que se rattachent à l’instruction primaire ont été envisagées de tous les points de vue, et quant à la question universitaire en particulier, M. Bignon l’a sagement défendue à Nantes contre cet intrépide marquis de Regnon, qui veut la liberté d’enseigner pour tout le monde, excepté pour l’état. C’est ce qu’on appelait « la liberté comme en Belgique » du temps où l’on n’avait pas de plus violentes distractions.

Les quelques montagnards que les dernières élections ont laissés dans les conseils-généraux se seraient crus coupables de ne point avertir le pays qu’ils étaient encore pour lui rendre leurs services. Ils se sont, comme toujours, distingués par l’à-propos de leur éloquence : Le citoyen Marc Dufraisse s’est opposé à ce que le conseil-général de la Dordogne s’associât à la souscription ouverte pour élever une statue au maréchal Bugeaud ; sa raison était précieuse : il pensait plus sage d’économiser les, frais du monument, parce qu’on pourrait un jour le renverser, puisqu’on avait bien pu précipiter Marat du Panthéon dans un égout. Quelquefois cette faconde montagnarde opère à deux, et l’orateur ne va pas sans le souffleur. « Nous autres démocrates, s’écrie un conseiller du Lot, nous ne sommes pas des… des… » et sa mémoire s’embarrasse entre les qualités négatives qui peuvent parer un démocrate du Quercy. « Des Cosaques, »