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les secours à la scène qui saura le produire. Un seul homme peut-être encore aujourd’hui, M. Scribe, peut réveiller la comédie ; mais celui-là n’a jamais cherché ses encouragemens qu’en lui-même, et il a su trouver la fortune et la réputation où d’autres n’ont rencontré que des échecs et semé la ruine. Encore une fois, ce ne sont pas précisément des secours que le gouvernement doit à l’art dramatiques : c’est d’abord moins de théâtres, une autre législation pour les régir ; ce sont des reformes qui les mettent dans une meilleure voie.

Nous pourrions en indiquer quelques-unes ; mais à quoi bon ? Qui ne sait cela aussi bien que nous ? Est-il besoin aussi de parler des plaies qui rongent les théâtres, de ces appointemens fabuleux accordés à certains artistes inhabiles même à ramener la foule ? Lorsque, par exemple, des chanteurs médiocres se font attribuer des traitemens de 50,000 francs pour neuf mois au plus de service par an, comme cela se voit à l’Opéra, n’est-il pas matériellement impossible que ce beau théâtre reste debout en subissant de pareilles conditions ? Quand encore une cantatrice sans grand éclat, sans puissance réelle sur le public, puisqu’avec une partition comme le Prophète elle ne sait pas l’attirer en foule, réussit à se faire allouer la somme de sept ou huit mille francs par mois, de quoi témoigne ceci, si ce n’est de l’habileté industrielle dont on est pourvu en dépit de toutes les théories humanitaires, de la rareté des sujets, de la force de la concurrence, du nombre sans limites avec les besoins des théâtres ? Si les artistes d’aujourd’hui avaient réellement la puissance et la grandeur du talent, la noblesse et l’esprit de solidarité qui en sont inséparables, ils ne s’exposeraient pas aux fâcheuses réflexions que font naître des exigences aussi inacceptables. C’est à peine si on peut élever de pareilles prétentions quand on enrichit un théâtre, quand on traîne la foule après soi ; qu’en dire donc quand le plus souvent on la laisse indifférente, et qu’on apporte la ruine aux administrations !

Si de l’Opéra nous passons au Théâtre-Français, nous y retrouvons la même situation et les mêmes souffrances. Le régime de ce que les Anglais appellent une étoile (a star) y a été en pleine vigueur depuis la république, qui a eu la gloire de venir restaurer là le petit empire d’un star que les derniers jours de la monarchie avaient détruit. Si le Théâtre-Français s’y est d’abord trompé, l’étoile a été mieux avisée, et elle, naguère encore si monarchique, célébra sa délivrance en chantant la Marseillaise avec une joie délirante, avec une véhémence concentrée qui lui valurent la gracieuse attention du dictateur d’alors. Voilà quelle fut, on l’ignore peut-être, la véritable cause de l’enthousiasme révolutionnaire de l’artiste. Il y a peut-être quelqu’un qui doit demander pardon à la monarchie de cette trop terrible imprécation que lui jetait l’amie de Pyrrhus. Tout allait donc pour le mieux dans cette lune de miel : la tragédienne jouait avec ardeur, attirait la foule, et son despotisme était presque doré à une époque de désastres publics ; mais il fallut peu de mois pour pénétrer toutes les petites misères et tous les périls que recélait cette charmante royauté, et d’un coup de main habilement préparé on tenta une révolution. La reine de théâtre en fit une maladie ou une absence de plusieurs mois, et menace de sa retraite définitive ses sujets révoltés. C’est là qu’en sont les choses, si nous sommes bien informés, et voilà un an bientôt que dure ce grave débat.

Voyez-vous maintenant le danger pour les théâtres de ces stars, de ces existences excentriques que le public autrefois savait au moins contenir ! Les gros