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nouvelles arrivent de la Hesse et du Wurtemberg, le feu se ralentit, la dernière barricade est prise, et, pendant toute la nuit, l’armée, bivouaquant dans la rue, occupe la ville entière comme une place conquise.

La victoire de l’ordre fut chèrement achetée. L’armée éprouva de nombreuses pertes ; des officiers d’élite périrent sous des balles fratricides. L’assemblée nationale ne fut pas épargnée non plus ; M. Heckscher, poursuivi par d’implacables haines, avait été obligé de prendre la fuite, dès le 17, pour ne pas être égorgé dans la rue ; moins heureux que lui, deux des membres les plus distingues du parlement, M. le prince Lichnowsky et M. le général d’Auerswald, tombèrent victimes de la rage féroce des insurgés. Vers cinq heures, M. le prince Lichnowsky et M. d’Auerswald étaient montés à cheval pour porter un message au vicaire de l’empire ; ils apprennent, chemin faisant, l’arrivée de la cavalerie wurtemlergeoise, et, changeant de direction, ils vont au-devant des troupes hors des portes de la ville. Reconnus par des forgerons de Bornheim, ils sont bientôt entourés ; ils enfoncent leurs éperons dans les flancs de leurs chevaux, fendent la foule et se jettent dans les jardins qui bordent la route. Ils trouvent un asile dans la maison d’un pépiniériste ; mais, au bout de quelques minutes, la maison est enveloppée et fouillée : les deux fugitifs, sans armes, sans défense, sont à la merci des furieux. Frappé d’une balle à la tête, Auerswald est achevé à coups de pioche, à coups de faux, à coups de massue ; ses bras, sa seule défense, sont littéralement en pièces et en lambeaux. Lichnowsky est atteint aussi d’un coup de feu à la tête ; on le traîne à demi mort dans la prairie de Bornheim, et là on le place comme un but où chacun à son tour vient décharger son arme. Enfin, quelques soldats arrivent, attirés par la fusillade. Les meurtriers prennent la fuite ; on rapporte à Francfort le cadavre du général d’Auerswald et le corps de Lichnowsky mourant ; le malheureux rendit le dernier soupir vers onze heures du soir, au milieu d’épouvantables souffrances, supportées avec la noblesse du gentilhomme et la résignation du chrétien.

L’infame assassinat de Bornheim enlevait au parlement deux de ses plus illustres membres, deux de ses orateurs les mieux écoutés. Le général d’Auerswald s’était fait remarquer déjà aux états de Berlin en 1847, par l’élévation de son caractère et la sûreté de son esprit. Quoiqu’il eût rarement parlé à la tribune de Saint-Paul, il y avait pris place parmi les orateurs d’élite, et ses qualités, chaque jour agrandies, promettaient un homme d’état au ministère de l’empire. On admirait chez lui la promptitude de l’intelligence, la rapidité et la précision du coup d’œil ; dans tout occasion difficile, il trouvait des ressources subites, qui attestaient la fertilité d’une nature supérieure. Son caractère surtout excitait des sympathies profondes ; il possédait cette vraie