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passions. Ainsi, nous voyons les Polonais de la race slave combattre leurs frères slaves de la Bohême et de la Croatie. Il faut insister sur ce point auprès de ceux qui n’ont rien perdu de leurs généreuses illusions sur la guerre de Hongrie. La guerre a changé de caractère. Si les conventionnels du 13 juin avaient triomphé à Paris, ils se fussent hâtés d’écrire à Bem pour lui annoncer leur victoire et lui promettre leur secours. De Paris jusqu’à ces extrémités reculées de l’Europe, les ennemis de la société se tiennent et forment une chaîne non interrompue. En face de cette détestable conjuration qui nous menace tous, nous laisserions-nous misérablement diviser par des causes qui n’ont plus aujourd’hui ni gravité ni profondeur ? Devant l’ennemi universel, il n’y a pas deux conduites à suivre : l’une à l’intérieur du pays, l’autre différente pour l’extérieur. Où en serions-nous en France, grand Dieu ! si tous nous n’avions pas oublié, pour le salut social, nos débats insensés, les origines diverses des partis, les divisions mêmes les plus profondes qui nous séparaient autrefois ? C’est ainsi seulement qu’on a pu constituer pour l’ordre un grand parti national. Si les anciennes discordes viennent à reparaître, nous périrons.

À l’extérieur comme à l’intérieur, nous le répétons, notre politique doit être la même. Au milieu du débordement révolutionnaire, prétendre agir à part, former un tiers-parti européen, serait se compromettre en pure perte ; on commettrait dans la société européenne la faute de ceux qui, aux élections du 13 mai, n’ont pas voulu accepter la liste générale des candidats, et qui ont ainsi laissé arriver les socialistes Est-ce là ce que nous pouvons vouloir pour nous et pour l’Europe ? Les temps sont durs sans doute, il n’y a pas de place pour les préférences individuelles, même les plus justes ; il n’y a pas de système russe, anglais ou autrichien ; il n’y a pas de politique de fantaisie ou même de sympathie nationale : il y a la politique de nécessité. Un homme dont le patriotisme n’est pas suspect, M. Thiers, dans cette séance du 12 juin qui commença la victoire du lendemain, M. Thiers, à propos de notre expédition de Rome, disait : « Partout la guerre est entre l’ordre et la démagogie. » Et comme son adversaire lui reprochait outrageusement ces paroles, empruntées disait-il, au manifeste de l’empereur de Russie : — « Les vôtres ; répliqua l’orateur au milieu des applaudissemens de l’assemblée, les vôtres sont celles des insurgés de juin. » — La question était posée résolûment : il y a un dernier moment où les partis renoncent aux mensonges de la langue oratoire. Sous l’empire de circonstances diverses, à travers la variété infinie des mœurs, des besoins, des nationalités, le combat n’est pas autre sur les bords du Danube que dans les rues de Paris, ou sous les murs de Rome : c’est la lutte contre les barbares, le triomphe ou la ruine de l’ordre social.