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sur un terrain découvert, les cavaliers seuls vinrent tirailler de loin sur nos hommes, et nous pûmes, sans nouvelles fatigues, nous établir au bivouac sur les bords du Menasfa, la cavalerie au centre, les quatre faces formées par l’infanterie. À notre arrivée, les premiers soins furent donnés aux blessés ; on étendit, sous des tentes d’ambulance dressées à la hâte, des couvertures de laine, et on porta nos pauvres soldats sur ce lit bien dur. La guerre est un rude métier ; celui même que la balle a déchiré doit s’attendre le plus souvent à n’avoir d’autre lit que la terre. Il était trois heures du soir, les grand’gardes furent placées de tous côtés ; puis ceux que le service ne réclamait pas se disposèrent à passer le plus gaiement possible la fin d’une journée sans lendemain pour plusieurs, chacun se laissant aller à cette insouciance de gens qui n’ont pas la responsabilité d’eux-mêmes.

Le général, sans nul doute, était moins tranquille. La colonne n’était approvisionnée en vivres et en munitions que pour une course de quelques jours dans un pays où personne au départ ne s’attendait à rencontrer toute une population fanatisée par la présence du chériff. L’heure était solennelle, les circonstances étaient graves : à en juger par la vive attaque de cette matinée, par les feux que l’on voyait au loin sur les collines, nous allions avoir sur les bras la révolte du pays tout entier ; nous allions être obligés de nous retirer devant l’insurrection, de regagner la plaine par une marche périlleuse pour aller chercher au camp de Bel-Assel les vivres, les munitions, les renforts devenus nécessaires. Le plus grand sujet de crainte du général, c’est qu’en partant de Mostaganem il avait donné l’ordre au commandant Manselon de quitter le Khamis[1] des Beni-Ouragh sur le Riou, avec un bataillon et cinquante chevaux, et de venir le rejoindre. Ces troupes devaient traverser une partie du Guerboussa, et il fallait les soustraire aux dangers d’une embuscade. L’ordre fut donc que, le lendemain, la moitié de nos forces resteraient au camp, pendant que soixante-dix chevaux et le reste de l’infanterie partiraient avec le général pour aller au-devant du commandant Manselon.

Notre camp était établi à cinq cents pas du Menasfa, sur une petite colline de forme allongée, dans une bonne position militaire. Tout autour de nous de grands horizons gris ; pas un arbre, pas un buisson, car les dernières collines nous cachaient les bois que nous venions de traverser. Sur cette terre profondément crevassée par un soleil de quatre mois, on ne voyait que les chaumes et de grands chardons desséchés. Seulement, sur les bords du ruisseau, des buissons de lauriers-roses en traçaient le cours sinueux ; on eût dit une rivière de fleurs.

  1. Khamis des Beni-Ouragh. Nom d’un poste-magasin situé dans le pays des Beni-Ouragh.