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LA VIE MILITAIRE EN AFRIQUE.

La petite colonne partie avec le général traversa le Menasfa, monta la colline, et bientôt disparut à nos regards. Un instant après, nous entendîmes quelques coups de feu ; puis bientôt le bruit de la fusillade se perdit dans le lointain. Peu à peu les hauteurs devinrent menaçantes, chaque heure du jour nous amenait de nouveaux ennemis. De cette multitude armée nous venait un bourdonnement sourd mêlé de cris aigus. Qu’on figure le frémissement de la mer quand la houle l’agite et que de temps à autre la vague vient se heurter au rivage. Pendant que nos grand’gardes redoublaient de surveillance, nous nous abandonnions tranquilles et confians au grand charme de ce pays, à la beauté du jour. Nos blessés étaient bien ; ils avaient eu notre première visite à leur réveil. Le brave Mazères, que l’on venait d’amputer, était calme et gai ; mais son sourire avait je ne sais quoi de noble et de triste, on voyait qu’il savait souffrir. Assis près de Geffines, il lui donnait à boire de temps à autre, et, s’oubliant lui-même, il cherchait par ses soins à rendre plus douces les souffrances de son camarade. Quand l’on sort des tentes d’ambulance, on a toujours le cœur attristé. Ce sang qui coule, ces figures hâves et fatiguées, cette révolte de la jeunesse contre la douleur, ces pansemens au milieu des armes, ce mélange de guerre et d’hôpital, donnent à la gloire même une irrésistible apparence de tristesse et de deuil. Cet appareil de la douleur militaire a pourtant sa grandeur. À peine entendez-vous quelques mâles gémissemens empreints d’une dignité toute virile ; on se meurt en silence, loin des siens, patient et résigné.

Le bruit et l’agitation augmentaient à chaque instant dans la fourmilière arabe ; les cris devenaient de plus en plus insolens ; déjà nous entendions le tam-tam, et nos grand’gardes échangeaient des coups de fusil, quand la tête de colonne partie le matin se montra sur les hauteurs du Menasfa. Une demi-heure après, tous étaient de retour, ramenant quelques morts, un plus grand nombre de blessés, et, chose heureuse, le détachement du Khamis.

Le dîner fut gai, si cela peut s’appeler un dîner ; on but à la santé des camarades qui nous avaient rejoints ; on se raconta ces mille et une histoires de sous-lieutenans qui font la joie de la halte, si bien que, lorsque le colonel Berthier vint nous retrouver, il était près de six heures ; le soleil allait disparaître ; déjà cette teinte brune et chaude d’Afrique commençait à s’emparer de la terre et du ciel. Le colonel ne partageait ni notre sécurité, ni notre joie. Sa grande et longue figure semblait préoccupée et inquiète. Il voulait paraître enjoué ; un instant il se mêla à nos gais propos, sa tristesse l’emportait toujours, et, en nous quittant, il nous avait laissé une impression pénible. À la nuit tombante, on apporta l’ordre : le départ était fixé pour le lende-