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trois lieues et demie, jusqu’aux montagnes de Bel-Assel. Là, obliquant à droite, elle suit, trois lieues durant, cette nouvelle direction jusqu’à ce qu’elle se jette dans le Chéliff, qui arrive, en sens opposé, de l’est et tous deux ont leur embouchure, à quinze lieues de là, dans la mer. Dans cette plaine immense, vous ne rencontrez pas un arbre, pas un abri ; çà et là seulement quelques buissons de jujubiers sauvages, de légères ondulations de terrain, un lac salé : le morne paysage est encadré dans de vastes horizons dénudés et vaporeux ; plusieurs parties de la plaine, profondément ravinées par les pluies, sont impraticables en hiver. La Mina elle-même coule dans des bords à pic de vingt-cinq pieds de profondeur que les eaux des crues d’hiver ont élargis. La fertilité de cette région de la plaine qu’on nomme la basse Mina est proverbiale. Le sol, formé de terres d’alluvion, peut en partie être arrosé, grace au barrage du fleuve que les Turcs avaient établi à Relizann et que les Français ont relevé. Quelque jour, cette Beauce africaine se couvrira des plus belles cultures ; mais, en 1845, elle retentissait des coups de fusil des Arabes ennemis. Nos obus, tirés à ricochet, les eurent bientôt rejetés à une distance respectueuse ; puis, tandis que les blessés prenaient la direction de Bel-Assel, la colonne, faisant un à-gauche, gagnait Relizann.


II.

Les coureurs ennemis, descendus dans la plaine à notre suite, se répandaient à droite et à gauche, cherchant le pillage ; mais quoi piller ? Les tentes[1] du khalifat Sidi-el-Aribi s’étaient repliées vers le Chéliff. Alors, pour ne pas perdre leur journée, les maraudeurs mirent le feu aux meules de paille. En un clin d’œil, l’incendie éclata et gagna les grands chaumes et les herbes desséchées par quatre mois de soleil. À la nuit, la plaine entière n’était qu’un océan de feu. Durant de longues heures, nous vîmes les nuages se teindre en rouge et renvoyer au loin ce reflet de mauvais augure : on eût dit la bannière de la révolte se levant sur le pays entier, un signal de sang annonçant à tous que le jour de la délivrance était arrivé.

Le lendemain, nous recevions les nouvelles de Djemàa Ghazaouat. Le soulèvement des Flittas n’était pas une révolte partielle : de la frontière de l’ouest jusqu’au-delà des Kerraïch, les tribus s’étaient soulevées comme un seul homme ; chaque instant de ces heures difficiles apportait au général une nouvelle fâcheuse : une tribu de plus avait déserté notre cause ; tous, jusqu’aux gens de la plaine, passaient à l’ennemi, et

  1. La tente en Afrique, est une expression collective indiquant la maison, la famille.