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LA VIE MILITAIRE EN AFRIQUE.

mières brises printanières, mais nous avions encore de rudes momens à passer.

Toutes les troupes s’étaient concentrées vers l’est ; c’était là qu’il fallait porter les derniers coups à l’insurrection. Tandis que le maréchal Bugeaud s’avançait dans les montagnes de l’Isser, les différentes colonnes appuyaient ces mouvemens. Tout allait bien, mais nous avions compté sans le mauvais temps. La pluie encore, la neige et la grêle nous accablaient comme aux jours passés. Partout des torrens impétueux, des chemins impraticables, et il fallait marcher. Nous garderons longtemps le souvenir de la belle vallée de l’Isser. Nous traversâmes soixante-seize fois la rivière en deux jours. Il y avait trois pieds d’eau, et d’eau glacée ; mais la bonne humeur nous soutenait, et, quand on approchait de l’eau, vous eussiez entendu des bataillons entiers imiter le cri des canards et s’égayer aux dépens des maladroits.

Au bout de deux jours, nous fûmes enfin sur un bon terrain : bien séchés autour de feux énormes, nous trouvâmes la route singulièrement embellie. Sous la main industrieuse des Kabyles, tout le revers des montagnes s’était couvert de cultures. Les oliviers, les noyers, les arbres de toute espèce, étaient entretenus avec soin ; les villages étaient pour le moins aussi bien bâtis que nos villages de France. À mesure que nous avancions, le printemps marchait d’un pas rapide, semant sur sa route les fleurs, les parfums et la verdure. Nous étions alors sur l’Oued-el-Aziz ; la rivière courait, profondément encaissée entre deux murailles de rochers, et contournant le camp de deux côtés, elle nous servait de remparts. Nos tentes se dressaient sur une pelouse verdoyante, entre des buissons de lentisques aux formes arrondies. On eût dit un bivouac dans un jardin anglais. Au nord, un énorme rocher attaché au flanc de la colline dressait sa masse noire, et les sentinelles de la compagnie de grand’garde se dessinaient sur l’horizon. Comment faire comprendre le charme de ces premières journées du printemps d’Afrique ? Lorsque le crépuscule arrive, vous vous étendez sur un tapis, et vous aspirez le tabac parfumé, vous laissant aller au plaisir d’être heureux. D’où viennent cette joie et ce calme ? Qu’importe ? tout est riant, tout charme ; on admire, on se souvient, on espère. L’on entend le printemps chanter en son cœur toutes les chansons heureuses de la jeunesse : douce ivresse sans fatigue, sans regret ; ainsi passent les heures, ainsi la nuit s’avance, et vous vous endormez bercé par ces doux rêves.

Cependant la révolte était calmée ; chaque jour nous apportait une soumission nouvelle ; le pays agité rentrait dans le devoir, l’insurrection était étouffée, et ce grand résultat était dû au chef illustre qui nous avait conduits en personne pendant toute la dernière partie de la campagne, à M. le maréchal Bugeaud.