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REVUE DES DEUX MONDES

PREMIÈRE PARTIE.
I.
Une cellule.


(Valentin de Lavaur, en uniforme, agenouillé devant le père Alexis.)


LE PÈRE ALEXIS.

Allez en paix, mon fils, ne péchez plus.

VALENTIN, se relevant.

Maintenant, mon père, je vais me battre. Je ne sais comment tournera cette affaire. Songez à votre sûreté.

LE PÈRE ALEXIS.

Ma vieille résolution tient toujours, mon cher ami. J’irai demeurer dans une maison moins connue, mais je ne quitterai pas la ville.

VALENTIN.

Si les socialistes triomphent, ils feront des choses affreuses. Ils vous trouveront.

LE PÈRE ALEXIS.

Je n’ai pas l’intention de me cacher beaucoup.

VALENTIN.

Ils vous tueront.

LE PÈRE ALEXIS, souriant.

C’est trop juste. Après m’avoir si souvent empêché d’aller aux missions, Dieu me doit bien quelque dédommagement.

VALENTIN.

Quelle sera la fin de tout ceci ? Je n’augure rien de bon.

LE PÈRE ALEXIS.

Enfin, la grande et la vraie fin sera le juste partage de l’éternelle vie et de l’éternelle mort. Je ne vois rien là, mon enfant, qui puisse beaucoup nous effrayer. Quant à la société, il ne me semble pas que la colère divine se veuille satisfaire à demi ; mais les jugemens de Dieu ne sont pas les nôtres : rien n’est perdu, même pour les coupables, tant que nous pouvons prier. Qui connaît les trésors de la miséricorde ?

VALENTIN.

Humainement, rien ne me rassure.

LE PÈRE ALEXIS.

Ni moi. Cette nation a les reins cassés. Le cœur parfois sent encore, la tête comprend encore ; mais les muscles et les nerfs n’obéissent plus à la volonté et n’agissent que dans le délire de la fièvre et de la douleur. Ce ne sont plus des mouvemens, ce sont des convulsions, dont chacune peut être suivie de la mort.

VALENTIN.

Nous sommes perdus. Dieu seul peut nous rendre la vie par un miracle que nous ne méritons point et que je n’espère point. Nous tomberons, demain peut-être, en tout cas bientôt, dans une anarchie sauvage ou dans un despo-