Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/307

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
301
LE LENDEMAIN DE LA VICTOIRE

draient mon père et ma mère, que je n’accepterais pas. Tout ce qu’ils veulent détruire, je le veux conserver ; tout ce qu’ils veulent abattre, je le veux maintenir ; tout ce qu’ils nient, je le crois, et tout ce qu’ils blasphèment, je l’adore. Je ne renfermerai point ma foi dans le secret de mon âme. Je la confesserai hautement devant la multitude des impies, des furieux et des lâches. Mon devoir est de combattre et de mourir pour la religion, pour la famille, pour le pouvoir. Je ne laisserai point ce malheureux pays s’endormir et s’abrutir sous le joug d’une stupide et infâme terreur. Notre seule espérance est maintenant dans la guerre civile, je vais voir si ce dernier effort est possible, et s’il reste quelque forêt, quelque rocher où je puisse, comme Pélage, emporter l’âme de la patrie. L’âme de la patrie, c’est la loi de Jésus. Ceux qui la nient et la veulent éteindre ne sont pas mes concitoyens. Je ne les connais plus. Le fer à la main, ils viennent m’imposer des lois pires que l’esclavage et la mort. Le fer à la main, je revendique contre eux ma liberté, mes autels et le sol sacré où dorment vingt générations de mes pères.

DENIS DUPUIS.

Mon fils, j’honore votre courage, et, sans y mettre autant d’énergie, je pense comme vous ; mais est-il temps de prendre un si grand parti, et ne voulez-vous point voir ce que ceci deviendra ?

VALENTIN.

Dieu veuille qu’il ne soit pas trop tard ! Nous sommes complètement envahis. Je ne doute pas que la sédition qui triomphe ici aujourd’hui ne triomphe en même temps sur presque tous les points du territoire.

DENIS DUPUIS.

Ainsi, vous voulez nous abandonner ?

VALENTIN.

Je n’ai nul autre moyen de tous défendre. Si je reste, je serai certainement arrêté cette nuit.

EULALIE.

Hâte-toi de partir.

VALENTIN.

Chère amie, ce n’est pas la permission de fuir que je demande, c’est celle de combattre. Un lien me retient ; toi seule le peux briser. Je n’ai plus de père, et Dieu, dans sa miséricorde, contre laquelle nous avons failli murmurer, nous a pris notre seul enfant. Il faut à présent que je puisse me considérer comme n’ayant plus d’épouse. Donne-moi cette liberté que les femmes fortes du moyen-âge donnaient à leurs maris lorsqu’ils avaient pris la croix ; car, si tu peux y consentir, je prends la croix aujourd’hui pour toujours. Je la prends pour la défaite et pour la victoire, afin de rester, quoi qu’il arrive, un soldat de Dieu, et que ma main, si elle laisse tomber l’épée, puisse encore porter l’Évangile. Que ferons-nous, si nous ne répandons que la mort ? Il faut pouvoir répandre aussi le pardon.

EULALIE.

Va, tu n’appartiens plus qu’à Dieu. Il avait lui-même formé nos liens, qu’ils soient rompus pour lui. (Elle retire de sa main l’anneau nuptial et le donne à Valentin.) La chaîne sainte qui nous unissait n’attache plus désormais que nos âmes.