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REVUE DES DEUX MONDES.

VALENTIN.

Quel que soit votre pouvoir, vous ne me sauverez pas malgré moi. Je n’accepte la liberté qu’à deux conditions.

LE VENGEUR.

Faites-les connaître.

VALENTIN.

Ma femme et ses parens, qui sont ici, seront conduits hors de la ville, dans l’asile qu’ils désigneront.

LE VENGEUR.

Je l’accorde, et même ils emporteront ce qui leur plaira.

VALENTIN.

Je vous remercie pour les vieillards. Quant à ma femme, elle n’emportera comme moi que ses vêtemens. Nous ne possédons pas autre chose. Nous donnons tout.

LE VENGEUR.

À qui ?

VALENTIN.

Dans l’avenir, à Dieu ; dans le présent, à ceux qui nous dépouillent. Désormais la comtesse de Lavaur n’a besoin que d’une aiguille ; moi, je n’ai besoin que d’une épée.

LE VENGEUR.

Je vous comprends. Est-ce tout ?

VALENTIN.

Je veux que vous me compreniez bien. Je suis gentilhomme et j’ai mes scrupules. Vous comprenez bien que je n’accepte la liberté que pour vous faire la guerre, et que je vous la déclare éternelle. Fugitif et blessé, vous m’avez loyalement dit que vous ne déposeriez pas les armes. Proscrit à mon tour, je vous en dis autant. Si vous n’avez pu pardonner à la société des torts qu’avec plus de grandeur d’âme vous auriez soufferts et qu’avec plus d’instruction vous auriez excusés, je me révolte à meilleur droit contre vos maximes insensées et contre vos desseins sauvages. Vous n’êtes à mes yeux que des fous ou des scélérats. Si j’étais le maître, je vous plongerais dans les cachots, ou je vous rejetterais au-delà des mers dans un exil d’où vous ne sortiriez jamais. Je vous nie absolument tous les prétendus droits en vertu desquels vous êtes devenus ce que vous êtes. Vous n’avez de droit qu’au châtiment.

LE VENGEUR.

Comte de Lavaur, je vous avertis que vous me bravez sans péril ; j’ai besoin de vous. Ne vous étonnez point. Ce que j’attends de vous, vous êtes disposé à le faire. Je ne défends ni la vertu des révolutionnaires, ni la sainteté de leur mission. Je pratique les hommes de plus près que vous, et je sais ce que j’en pense. Je vois les choses, je vois où elles vont, je me propose de les pousser loin. Je suis au-dessus de tous les argumens comme de tous les remords. Je ne ferai pas non plus le procès à la société, le procès est fait. Elle est jugée, jugée à mon tribunal depuis long-temps. Vous direz qu’elle vaut mieux que son juge, et que je ne suis pas un juge légitime. C’est votre doctrine, ce n’est pas la mienne ; ce n’est pas non plus celle de la société, car je tiens d’elle-même, de