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rité des hommes sur lesquels les jugemens de l’histoire n’auront jamais prise, des hommes dont l’élévation sans lendemain fut une des plus insolentes bouffonneries de la fortune. Sans M. de Lamartine, la république, repoussée par l’immense majorité du pays, ne fût point sortie de la sédition du 24 février ; si M. de Lamartine n’eût pas consenti à être le collègue de MM. Flocon, Ledru, Pagès, Crémieux, Louis Blanc, Albert, Marie, on n’eût jamais entendu parler de cette autocratie révolutionnaire qui s’est appelée le gouvernement provisoire. Il est naturel que M. de Lamartine vienne se défendre lui-même en racontant la révolution de 1848. Elle est son œuvre, et la fortune de son nom y est indissolublement attachée.

L’apologie de M. de Lamartine sous les yeux, je vais donc lui demander compte des motifs qui l’ont porté à faire une révolution, de la manière dont cette révolution s’est accomplie, du rôle actif qu’il a volontairement choisi dans la péripétie de ce drame, de la politique qu’il a pratiquée au pouvoir, des amitiés qu’il a formées, des effets immédiats de la révolution de février, enfin du caractère et de la moralité de sa carrière publique ; mais, avant de commencer ce douloureux interrogatoire, je demande le droit de franchise vis-à-vis de M. de Lamartine. L’auteur des Méditations et des Girondins a joui jusqu’à présent d’une immunité refusée à tous les hommes publics. Pour lui, la critique même a toujours eu des ménagemens respectueux et des flatteries efféminées. On ne lui a jamais parlé que comme l’on parle à une altesse royale. On aurait craint, en blâmant l’homme politique, de paraître oublier l’admiration due au poète ; il semblait y avoir dans les sentimens de M. de Lamartine une chevalerie qui appelait des retours de générosité, et, devant la bienveillance polie de son langage, la polémique aurait rougi de ne point émousser ses rudesses. Il serait difficile aujourd’hui d’observer envers M. de Lamartine ces attentions cérémonieuses. On ne pense plus au grand poète d’autrefois quand on voit l’homme qui a joué sur un coup de dé la vie de la France ; on oublie l’ancien prestige de l’écrivain en parcourant l’improvisation incohérente, lâchée, monotone de l’Histoire de la Révolution de 1848 ; on n’est plus touché d’une chevalerie qui est allée jusqu’à réhabiliter la mémoire de Robespierre, et on se révolte enfin contre cette fade et banale bienveillance qui n’honore plus personne, parce qu’elle caresse tout le monde ; on s’indigne du flegmatique lyrisme de ce Philinte sérieux qui fait mine de s’attendrir sur Mme la duchesse d’Orléans, et dont les adulations ne s’arrêtent pas même devant Blanqui.


I.

Quelles sont les causes qui ont paru à M. de Lamartine assez saintes