Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Marrast et Bocage, quand il entra dans la salle des séances. Ce fut alors que Mme la duchesse d’Orléans, accompagnée de son noble et généreux beau-frère, M. le duc de Nemours, fut introduite dans l’assemblée. Dans ce moment, dit M. de Lamartine avec une affectation de sentiment si peu d’accord avec sa conduite durant cette journée, dans ce moment sa cause était gagnée dans les yeux et dans les cœurs de tous. La nature triomphera toujours de la politique dans une assemblée d’hommes émus par les trois plus grandes forces de la femme sur le cœur humain, la jeunesse, la maternité et la pitié. » Cette cause, M. de Lamartine se flatte avec raison d’avoir pu la gagner par son éloquence, même après l’invasion de la chambre par les émeutiers, même après les discours révolutionnaires de MM. de Larochejaquelein, Marie et Ledru-Rollin. « Il n’y avait pour cela, dit-il, qu’à jeter à la tribune le cri qui était au fond de tous les coeurs. La présence de la duchesse, sa pâleur, son regard suppliant, ces enfans pressés sur son cœur, étaient, la moitié de l’éloquence nécessaire pour subjuguer une assemblée d’hommes sensibles. Jamais orateur n’eut derrière lui une pareille cliente et de pareils cliens. Ils rappelaient ces cortéges de femmes et d’enfans détrônés que les orateurs étalaient, pour l’attendrir, devant le peuple romain. Le peuple français est bien plus malléable aux larmes. Lamartine n’avait qu’à dire à la princesse et à ses fils : « Levez-vous ! Vous êtes la veuve de ce duc d’Orléans dont le peuple a couronné en vous la mort et le souvenir ! vous êtes les enfans privés de ce père et adoptés par la nation ! vous êtes les innocens et les victimes des fautes du trône, les hôtes et les supplians du peuple ! Vous vous sauvez du trône dans une révolution ! Cette révolution est juste, elle est généreuse, elle est française ! Elle ne combat pas des femmes et des enfans, elle n’hérite pas des veuves et des orphelins, elle ne dépouille pas ses prisonniers et ses hôtes ! Allez régner ! Elle vous rend par compassion le trône perdu par les fautes dont vous n’êtes que les victimes. Les ministres de votre aïeul ont dilapidé votre héritage. Le peuple vous le rend. Il vous adopte, il sera votre aïeul lui-même. Vous n’aviez qu’un prince pour tuteur, vous aurez une mère et une nation. » La chambre se serait levée en masse à ces paroles, relevées par la vue, par les larmes, par les mots entrecoupés de la duchesse, par l’enfant élevé sur les bras de sa mère et apporté sur la tribune. Lamartine aurait entraîné l’assemblée et quelques gardes nationaux présens au palais, à la suite de la princesse, sur la plate-forme du péristyle. De là il aurait montré la veuve et l’enfant au peuple indécis, aux troupes fidèles. Les acclamations étaient certaines. Ce cortége, grossi de torrens de gardes nationaux et de peuple dans sa marche, ramenait la duchesse et ses enfans aux Tuileries. Il proclamait la régence. Quelle péripétie ! quel drame ! quel dénoûment ! »