Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/346

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
340
REVUE DES DEUX MONDES.

des habits rouges les fusils chargés, mais aussi plusieurs centaines de mille hommes enrôlés comme constables et montant gravement la garde à la porte de leurs maisons.

Un autre épisode resté aussi très célèbre fut celui de l’élection de Westminster. La guerre d’Amérique était terminée ; les anciens adversaires, lord North, Fox et Burke, avaient profité de cette occasion pour se rapprocher, et former contre lord Shelburne et le jeune Pitt leur fameuse coalition. La caricature, dans cette circonstance, paraît avoir pris le parti de la cour ; il fallait qu’elle exprimât assez fidèlement l’opinion publique, car le roi, après avoir subi pendant quelques mois le triomphe de la coalition et un ministère composé de North, Fox et Burke, en secoua brusquement le joug et donna tout à coup à William Pitt la direction des affaires. Vainement la chambre des communes accumula vote sur vote contre le nouveau ministère ; le roi ne céda pas, et, usant de sa prérogative, il fit appel à des élections générales.

Chose rare, la caricature, comme nous l’avons dit, était alors du côté du pouvoir. Les deux grands artistes en ce genre, Gillray et Sayer, dirigeaient tous leurs traits contre les chefs de la coalition. Pitt est représenté en Hercule enfant, étouffant deux serpens qui ont la tête de Fox et celle de North. Dans les caricatures où figure lord North, il y a généralement un petit chien. C’est une allusion à un accident assez comique. Pendant un discours de lord North, un chien qui s’était caché sous une des banquettes de la chambre sortit tout à coup et interrompit l’orateur par un aboiement prolongé. La chambre entière fut jetée dans un accès de rire, après quoi lord North reprit avec un imperturbable sang-froid : « Maintenant que le nouveau membre a terminé son raisonnement, je demande la permission de continuer le mien. »

Il y a aussi des caricatures de tiers-parti. Nous en voyons une qui représente un âne tiré en deux sens contraires. L’âne surchargé d’impôts, c’est le peuple ; il est tiré d’un côté par le roi dans la direction de la monarchie absolue, de l’autre, par Fox dans la direction de la république.

Le résultat des élections générales justifia la confiance du roi et de son jeune ministre. L’ancienne majorité fut complètement changée, et le parti de la cour rentra triomphant dans les communes. Chose qui arrive quelquefois, le parti royal était aussi le parti populaire, et l’opposition n’était guère qu’une coalition de grandes familles et de grands intérêts. En cette occasion, le peuple d’Angleterre se déclara ouvertement pour la cour, et cette disposition ne laissait pas que d’alarmer Horace Walpole, qui écrivait : « M. Pitt a résolûment bravé la majorité. Il a dissous la chambre, et a, je le crains, fait à cette branche de la législature une blessure qui, si le courant ne tourne pas, pourra devenir fatale à la constitution. La nation est ivre ; elle prodigue les