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qu’une opinion, dès qu’elle est reconnue fausse, perd peu à peu ses adhérens. Les idées erronées portent avec elles leur cause de mort. Les partis de passions n’en sont pas là : parfois ils disparaissent tout à coup, parce que la passion s’est amortie ; mais gardez-vous de la croire éteinte. Vienne quelque chose qui la réveille, la passion se retrouve vivante et dubout. Tel est aussi le parti socialiste. Il peut s’éclipser, il peut s’amortir ; mais, comme il a pour ressources les passions éternelles de l’homme, l’envie et la convoitise, il ne peut pas s’éteindre. Le socialisme n’est pas autre chose que la combinaison d’un sophisme et d’une passion, c’est-à-dire l’appel qu’une intelligence erronée fait à un cœur perverti. Les partis de ce genre ne perdent jamais leurs armées, elles se dispersent comme les corps francs, mais elles s retrouvent aisément le jour de la bataille. Nous avons affaire à un ennemi qui peut bien être vaincu, mais qui ne peut pas être exterminé. Nous serions donc bien fous de désarmer de notre côté, puisqu’il ne désarme jamais du sien.

Le parti républicain (il s’agit des républicains de la veille et non pas des républicains du lendemain, puisque nous le sommes tous, et que par conséquent cela ne veut rien dire), le parti républicain a été battu dans les élections, et il ne s’est pas relevé. La république n’est qu’un mot, et un mot qui ne porte aucune signification nécessaire ; mais, à défaut d’une doctrine, le parti républicain a un homme à qui les circonstances ont fait un rôle à part, et qui ménage soigneusement la situation qui lui a été faite : c’est le général Cavaignac. Nous suivons avec curiosité la marche et l’attitude de cet homme unique dans son parti, et nous aimons à voir comment il s’efforce de faire croire qu’il a derrière lui des doctrines et des principes. Malgré ces précautions ingénieuses, sa personne débordera toujours ses doctrines. Ce qu’il dit est peu de chose ; cela seulement devient quelque chose parce qu’il le dit. Nous prenons pour exemple la lettre qu’il a écrite sur l’offre qui lui a été faite, dit-on, du bâton de maréchal. M. Cavaignac a refusé ; mais il n’est pas le seul général qui ait été à même de refuser, si nous sommes bien informés. M. le général Cavaignac a pu penser, comme son frère d’armes, que les victoires de la guerre civile, quelque utiles qu’elles soient à l’état, ne doivent, pas conférer de bâton de maréchal. Ce motif est noble et légitime ; mais le général Cavaignac a voulu de plus donner à son refus une signification politique, et il a exposé sur le maréchalat une théorie républicaine. Le maréchalat n’est pas un grade, c’est une dignité ; c’est une de grandes charges de la couronne Il ne peut donc y avoir de maréchaux qu’où il y a des rois, et M. le général Cavaignac est trop républicain pour jamais être maréchal. Cette théorie nous semble un peu guindée. Il est possible que le maréchalat ait été autrefois une des grandes charges de la couronne ; mais il y a long-temps de cela, et depuis ce temps le bâton de maréchal, étant dans la giberne de chaque conscrit, selon l’expression d’un roi qui se connaissait en royauté, en vieille comme en nouvelle, il a beaucoup perdu de son caractère monarchique il s’est démocratisé, comme toutes en France, et il y un peu de pédanterie républicaine à vouloir condamner le bâton sur sa vieille étiquette, au lieu de le conserver à cause de sa gloire populaire. À qui plaira cette abolition du maréchalat ? à ceux qui ne veulent pas être maréchaux dans certains momens ? Cela ne suffit pas. À l’armée ? C’est lui ôter un de ses buts. Au peuple ? Il aime les grades, les épaulettes, les uniformes militaires ; il aime