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sirs. Heureusement que sur l’allée de sept heures les hommes ne sont pas tenus d’être habillés comme des seigneurs. On fait ce qu’on peut avec ses habits de 1847, et puis on se pare de sa femme, de sa mère, de sa sœur, de son enfant, parure économique et charmante. On se connaît en vingt-quatre heures les uns les autres, comme si l’on n’avait fait que cela toute sa vie ; on sait le nom, la vie et la fortune, les alliances, le comment et le pourquoi de chaque voyageur. Jamais je n’aurais imaginé que tant et tant de mystères, pour parler le jargon des vieux romans humanitaires, pussent être dévoilés, non-seulement dans l’allée de sept heures, mais du faubourg Saint-Germain au faubourg Saint-Honoré. Cette revue des petits ridicules et des grandes aventures de chaque oiseau de passage, quel qu’il soit, colibri ou vautour, aigle ou colombe, laisse de bien loin, pour la variété du récit et l’originalité des découvertes, les ironies cachées dans la grande allée des Tuileries — un dimanche, quand les bourgeoises venaient glaner les médisances semées à pleines mains par les belles dames du beau monde. Ce plaisir de la causerie universelle se prolonge pendant deux heures le matin après le déjeuner, et deux heures encore après le dîner ; un baigneur bien élevé ne manque guère plus à la promenade de sept heures qu’un Florentin de bonne maison à la promenade des Cascines. — C’est le vrai chez soi de tous et de chacun.

Nous avons aussi la promenade des fontaines, ce qui est une façon encore plus charmante de s’abandonner à l’improvisation du moment. La fontaine principale s’appelle d’un assez vilain mot, le Pouhon. Comme toutes les fontaines célèbres, elle guérit de tous les maux ; elle n’a pas d’autre propriété que celle-là, mais elle l’a bien. La fontaine du Pouhon est dédiée au czar Pierre-le-Grand, qui vint se reposer un instant, en ce lieu sauvage, d’avoir créé ce monde barbare dont la France à la fin du xviie siècle savait à peine l’existence, et qui pèse à cette heure d’un poids si lourd sur les destinées de l’Europe. Si vous montez dans la montagne, à travers les plus jolis sentiers qui bordent ces torrens jaseurs, vous rencontrez une autre source non moins célèbre que le Pouhon, la Sauvenière, une eau limpide et fraîche, à laquelle sont attachés de grands privilèges. Ce n’est pas seulement la santé qui habite ce palais de cristal, c’est la jeunesse, la belle déesse de la jeunesse. Baissez-vous, puisez dans votre main blanche quelques gouttes de cette eau précieuse ; à peine vos lèvres rafraîchies auront touché à ce breuvage des fées bienveillantes, en toute hâte regardez-vous dans l’onde apaisée, et soudain vous reconnaîtrez votre vingtième année envolée, qui vous sourit à vous-même ! Et les montagnes et les vallées sont semées d’heureuses histoires, et chaque sentier devient le théâtre d’un petit drame. Et si vous osez, madame qui me lisez, placer votre