Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/422

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
416
REVUE DES DEUX MONDES.

d’une église toute neuve une longue suite de palais dans le quartier Léopold.

C’est bien vite passé, quinze jours de cet heureux spectacle, quinze jours de ce grand silence, où c’est à peine si on lit de temps à autre les nouvelles du volcan, où personne ne vous parle des lamentables journées, — le 17 mars, le 16 avril, le 15 mai, le 13 juin, sans compter le mois de juin de l’an passé ; mais enfin il faut prendre congé, bon gré mal gré, de ce nouveau monde éclairé par ce limpide soleil. Adieu donc et pour long-temps, plaisirs de l’ordre, charmes du repos, honnêtes et faciles loisirs !

Quelques heures avant mon départ, je vis arriver à Spa quelques amis de Mme la duchesse d’Orléans, nobles ames restées fidèles à cette auguste infortune. Les amis de Mme la duchesse d’Orléans étaient encore tout émus de l’avoir revue enfin, comme elle s’embarquait pour l’Angleterre : — noble femme, si modeste et si cachée quand elle était au comble des prospérités humaines, si courageuse et si résignée au fond de cet abîme dans lequel elle est tombée avec tout l’honneur qui entourait sa personne. Cruels enseignemens et contrastes incroyables ! pendant que les Flandres reconnaissantes dressaient des autels à leur Princesse Marguerite, une des intelligences du xvie siècle, notre princesse exilée s’en allait rejoindre incognito un roi sans trône, une reine sans couronne. Mme la duchesse d’Orléans s’est avancée sur le rivage, tenant ses deux fils par la main, et chacun saluait son passage. Elle a pris congé de ses amis avec autant de grace que lorsqu’elle montait pour la première fois cet escalier de Fontainebleau qui avait servi à l’empereur pour descendre de son trône, et d’une grace aussi calme qu’au milieu même de l’horrible émeute qui l’a chassée du sein de cette chambre violentée. « La France peut nous fouler à ses pieds, écrivait Mme la duchesse d’Orléans dans une lettre que j’ai lue, nous l’aimerons toujours. » C’étaient là les récits les plus chers de nos matinées. Il faut être réunis hors de la France, hors de Paris, quelques jours après une nouvelle émeute qui pouvait tout briser, pour comprendre l’intérêt tout-puissant de ces histoires, toujours les mêmes cependant : Dieu qui se fâche, les hommes qui blasphèment, et dans la tempête étonnée quelque sereine et haute vertu que rien n’étonne !

Les hommes de cette génération, qui étaient des jeunes gens en 1830, ont été les témoins de tant d’événemens imprévus, ils savent si bien à quels fils fragiles sont attachées les plus grandes fortunes, qu’il est presque impossible que l’un de nous, rentrant à Paris après une absence de quelques jours, ne sente pas son cœur se resserrer d’une crainte indicible, quand il revoit de loin le grand Vésuve. — Qu’a-t-on fait ce matin même ? — Quels sont les maîtres d’hier ? – Sous quelle loi fatale vais-je vivre ou mourir ? — Voilà la question que s’adresse