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LE LENDEMAIN DE LA VICTOIRE.

SECOND BOURGEOIS.

Vous croyez qu’il vous fera payer ?

PREMIER BOURGEOIS.

Peu… Ah ! elles nous coûtent, les révolutions ! Tel que vous me voyez, j’étais pourtant des plus chauds à crier : Vive la réforme !… Fichue bête !… Quand donc aurons-nous un bon maître qui pende tout, et fasse revivre le commerce ?

SECOND BOURGEOIS.

Prenez patience ; ce que nous voyons ne peut durer. La grande terreur de 93 n’a été qu’une affaire de dix-huit mois.

PREMIER BOURGEOIS.

Merci ! En dix-huit mois, on a le temps de mourir plus de trente-six fois, quand ce ne serait que de faim. Comment vivez-vous donc, vous ?

SECOND BOURGEOIS.

J’étais rentier. Flairant les sinistres, j’ai mis mon capital en sûreté aux États-Unis. Dès-lors, ne craignant plus pour personne, je me divertis assez. Vous imaginez que, quand la pièce sera finie, je serai content de l’avoir vue. J’en aurai de bonnes à conter en faisant ma partie de dominos. Je viens ici par curiosité. Il s’y passe de drôles de scènes, allez !

PREMIER BOURGEOIS.

Je présume que vous n’êtes pas marié.

SECOND BOURGEOIS.

Seul comme une truffe !… et bien content, je vous en réponds. Le bruit court que les gouvernans vont abolir le mariage. Je ne les approuve pas. Cependant il est de fait qu’ils éviteront par là bien de la peine à bien du monde.

PREMIER BOURGEOIS.

C’est vrai. Ils ont des idées qui ne seraient pas mauvaises.

SECOND BOURGEOIS.

Des idées vraiment philosophiques, monsieur !

PREMIER BOURGEOIS.

Oui, monsieur. Malheureusement ils appliquent cela d’une façon trop brutale. Par exemple, je ne leur en voudrais pas de l’extinction de la noblesse et de la grande propriété ; mais tuer à tort et à travers comme ils font, humilier les gens paisibles, ruiner le commerce, voila ce que j’appelle de la tyrannie.

SECOND BOURGEOIS.

Chut ! Ah ! la porte s*ouvre. Les audiences vont commencer. Vous aurez le plaisir d’expliquer votre affaire à Galuchet devant la belle Libéria.

PREMIER BOURGEOIS.

Comment ! elle est présente lorsqu’il reçoit ? C’est indécent.

SECOND BOURGEOIS.

Pour ce qui est des convenances, il s’en prive. Tiens, le voici.

GALUCHET, en robe de chambre, le cigare à la bouche.

Citoyens, salut et fraternité. Vous êtes bien aimables de venir me voir, mais je vous entendrai plus tard. Pour aujourd’hui, j’ai d’autres chiens à peigner. Les affaires de l’état m’accablent. Ainsi prenez vos cannes et vos chapeaux, et