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LE LENDEMAIN DE LA VICTOIRE.

dez. Pourquoi ne voulez-vous jamais m’écouter, jamais faire ce que je vous demande ? Sachez qu’on ne fonde rien par la force, qu’on fonde tout par l’amour. Quand vous aurez renouvelé les folies sanglantes de la première révolution, vous serez bien avancés ! Voilà du beau et du nouveau, de couper des têtes, d’abattre des monumens, de faire de la patrie entière un bagne immense et plein de décombres, où les citoyens tremblent, où les gardes chiourmes règnent le pistolet au poing ! Tout cela s’est essayé jadis. Qu’en est-il résulté ? Des réactions et des restaurations. Au lieu de comprimer en tous sens la liberté, développez-la en tous sens, dans la morale, dans les travaux, dans les plaisirs ; faites que les hommes s’aiment, ils seront heureux, et vous aurez sauvé le monde.

LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS.

Je crois que le citoyen ministre du progrès a parfaitement raison ; mais je pense que les faits, pour le moment, ne sont pas complétement d’accord avec sa théorie, et que le premier progrès que nous avons à réaliser, c’est de vivre. Or, les ouvriers ne travaillant pas, ou parce qu’ils ne le veulent pas, ou parce qu’ils ne le peuvent pas, ils ne vivent pas, et nous non plus nous ne vivons pas. Pour les faire vivre, il faut donc les forcer à travailler. Je propose un moyen ; si le ministre du progrès en connaît un meilleur…

LE MINISTRE DU PROGRÈS.

L’amour.

LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS.

L’amour est excellent, mais on trouverait difficilement aujourd’hui deux hommes qui consentent à s’aimer, je dis plus, qui puissent passer ensemble quelques heures sans en venir aux coups, à moins qu’un troisième placé entre eux et assez fort ne les empêche. Comment les amènerons-nous à s’aimer, si d’abord nous ne les contraignons à se laisser vivre ?

LE MINISTRE DU PROGRÈS.

Tu me persifles, parce que, faute de m’écouter à temps, la situation s’est empirée au point de n’avoir plus d’issue pacifique. Tu crois au phalanstère, parce que tu n’as pas eu le courage de lire mes livres. C’est bien ; fais du phalanstère ! fais du communisme ! Assouvis de jouissances l’orgueil et la sensualité de quelques adeptes, et de misère et d’ignominie le reste du genre humain ; je verrai combien cela durera, et je rirai à mon tour.

LE CONSUL.

Terminons cet incident.

LE MINISTRE DU PROGRÈS.

Comment ! un incident ? Mais il s’agit de l’existence même de la révolution et du socialisme ! Vous ne devriez pas sortir d’ici que la question ne soit résolue. Vous devriez y employer au besoin la nuit.

LE MINISTRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE.

Crois-moi, tu n’en verrais pas plus clair dans tes idées, ni nous non plus.

LE MINISTRE DU PROGRÈS.

Toi, je te regarde comme tout-à-fait inintellectuel. Je m’adresse au consul, il doit comprendre la situation. Est-ce que tu n’es pas épouvanté, citoyen consul, de l’état des choses et de l’état des esprits ? Est-ce que tu vois en tout