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ni fractionner les troupes constitutionnelles. Le concours si imprévu donné à la police espagnole par notre police républicaine n’a pas peu contribué d’ailleurs à déconcerter et à éventer les plans de factieux ; mais la cause de cet avortement est surtout morale, au fond des choses, dans le principe même de l’insurrection. Des trois factions que cette insurrection avait groupées, l’une, la faction républicaine, n’a jamais eu de raison d’être ; les deux autres n’en ont plus.

Vieux cri de guerre contre les nobles, les rois et les prêtres, aphorismes à la mode sur la tyrannie du capital, le droit au travail et ce qui s’ensuit, rien n’était oublié dans les manifestes républicains qui, après la révolution de février, ont inondé la Péninsule ; rien, si ce n’est deux choses : la logique et l’à-propos. Ces deux thèmes de déclamations ont en effet, chez nos voisins, le double tort de frapper à vide et de s’infirmer l’un l’autre en beaucoup de points.

Où trouver d’abord ici les élémens d’un 93 ? Serait-ce dans l’oppression aristocratique ? Dessaisie de temps immémorial de tous droits féodaux, assujétie aux charges communes, sauf d’insignifiantes exceptions qui ont pour pendant des charges exceptionnelles, la grandesse espagnole en est à peu près réduite aux quelques privilèges de fait que donne la fortune, privilèges purement politiques, qui n’ont dès-lors rien d’oppressif pour les masses, qui s’exercent même au profit des masses. Trop riche en effet et d’ailleurs trop fière pour rechercher les emplois, qu’elle abandonne presque entièrement à la classe moyenne, la haute aristocratie a pu devenir le point d’appui naturel de toutes les réformes tentées ou opérées dans le domaine fiscal, administratif et judiciaire, centre des seuls abus, des seules exactions dont les masses aient à souffrir. C’est ainsi que le parlement espagnol a plus d’une fois offert le spectacle d’un sénat libéral en face d’une seconde chambre rétrograde. Quant au principe aristocratique en soi, il n’a rien d’irritant, rien qui porte ombrage au susceptibilités populaires, dans un pays où la hiérarchie nobiliaire embrasse une notable partie de la population et descend, en certaines provinces, jusqu’au prolétariat. Là où s’arrête la hiérarchie, les mœurs y suppléent. Qu’y a-t-il au fond de cet orgueil égalitaire qui, depuis soixante ans, bat chez nous en brèche toute supériorité sociale ? De l’envie, c’est-à-dire un aveu d’infériorité. L’orgueil espagnol est plus intelligent, trop convaincu pour se ravaler jusqu’à l’envie. N’étant pas contestée, la grandesse, à son tour, croit pouvoir se dispenser d’être exclusive ; elle n’a pas intérêt à agrandir des distances que personne ne songe à combler, et c’est une autre source de bons rapports entre les deux classes. Du sentiment aristocratique découle ainsi l’égalité pratique qui permet à l’Espagne d’attendre fort patiemment l’égalité républicaine.

Le trône, chez nos voisins, s’abrite sous le même principe que l’aristocratie.