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Je ne sais plus quel ancien écrivain a dit : « La France est le royaume des conséquences. » L’Espagne, elle aussi, est le royaume des conséquences, raisonneuse et logique avant tout. La hiérarchie sociale admise, le bon sens pratique du peuple espagnol ne la comprendrait pas sans sommet. — Viva la reyna, aunque no lo merezca[1] ! criaient, il y a onze ans, les gardes nationales mécontens de Saragosse en repoussant la bande de Cabañero : voilà cette nuance. Ajoutons que l’excessive décentralisation de l’ancien régime n’a jamais permis au peuple espagnol de résumer ses griefs dans la royauté. Les innombrables franchises du clergé, de la noblesse, des corporations, des provinces, des communes, du personnel administratif lui-même, rétrécissaient à tel point le cercle d’action du rey neto, qu’il aurait pu envier les prérogatives de maints rois constitutionnels. Le nouveau régime a plutôt étendu qu’affaibli le pouvoir royal ; mais la centralisation a beaucoup à marcher, chez nos voisins, avant d’atteindre la limite où elle cesse d’être bienfaisante pour devenir tracassière. Où est la cause du gaspillage et des exactions bureaucratiques ? Dans l’indépendance que laissaient et que laissent encore en partie aux agens secondaires du fisc, de la justice, de l’administration, l’insuffisance du contrôle gouvernemental et un népotisme passé à l’état de règle. Tout ce qui tend à centraliser L’action officielle est donc un bienfait immédiat pour les masses qui paient les frais de ce gaspillage et de ces exactions. Le pouvoir royal est ici pour long-temps dans cette position singulière, qu’il ne peut s’accroître qu’aux dépens des abus, qu’il se popularise en se fortifiant. Accepté dans son principe, sans responsabilité réelle dans le passé, n’ayant qu’une action libérale et progressive dans le présent, quel prétexte laissait-il à la propagande républicaine ? Et de fait, les manifestes anti-monarchiques dont l’Espagne a été inondée durant quelques mois se réduisaient à de nébuleuses divagations, à quelques aphorismes de la force de celui-ci, que jetait de temps en temps à la poste de la rue Jan-Jacques Rousseau un certain M. Abdon Terradas : « La haine des rois est la première vertu civique. » M. Terradas est décidément trop avancé pour l’Espagne, qui ne mérite pas la sollicitude de M. Terradas.

Serait-ce dans l’influence ecclésiastique enfin qu’un 93 espagnol trouverait un prétexte à ses fureurs ? Encore moins. L’abolition des couvens a détruit cette influence en ce qu’elle avait d’excessif. On peut même dire que le libéralisme révolutionnaire a beaucoup dépassé dans cette voie la limite que lui traçaient et le vœu et les intérêts immédiats des masses. À force d’être absorbans, les accaparemens monastiques avaient cessé d’être onéreux. Immensément riches, dégagés par l’esprit même de leur institution de l’égoïsme de famille et des tentations du

  1. « Vive la reine, qu’elle le mérite ou non ! »