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LE ROMAN ANGLAIS CONTEMPORAIN.

cachemire blanc était jeté en désordre sur ses épaules. Les marbrures rouges de la fièvre ajoutaient un charme douloureux à ce visage charmant. Elle avait les yeux fermés ; ses sourcils, longs, noirs et relevés descendaient sur sa joue. Lorsque la respiration de la malade s’embarrassait et qu’une toux courte et creuse secouait sa légère poitrine, la jeune fille assise auprès d’elle interrompait sa lecture, levait la tête vers elle, arrangeait le châle, pressait gentiment sa main pâle et décharnée, la regardait avec un air de compassion angélique, soupirait et se remettait à lire d’une voix plus basse et, si c’était possible, plus douce encore. C’était une fille de dix-neuf ans. Elle était vêtue d’une étoffe de coton simple, mais qui dessinait avec élégance les ondulations adorables de son corps flexible et gracieux. Sa petite tête, sa longue et délicate poitrine, les pures lignes de son profil, la suavité de sa bouche, l’innocence de son maintien lorsqu’elle était inclinée sur son livre, la tendresse de son regard lorsqu’elle se tournait vers la souffrante, un parfum indéfinissable de pureté, de simplicité, de bonté, une expression singulière de calme à la fois et de force faisaient de cette jeune créature, assise à cette place sans se douter qu’elle pût être observée, un des êtres les plus aimables et les plus intéressans que Vavasour eut jamais rencontrés ou rêvés de sa vie.

La servante qui lui apporta la jatte de lait lui apprit le douloureux secret de ces deux femmes La malade était la seconde femme d’un officier de l’armée anglaise, mort, sans laisser de fortune, quelques mois auparavant. Il avait eu d’un premier lit la jeune fille que contemplait Vavasour, Angela. Le capitaine Nevil avait laissé trois autres enfans en bas âge à sa seconde femme mourante. Cette pauvre famille augmentée d’une vieille bonne, vivait de la petite pension de veuve de Mme Nevil ; mais, à la mort de celle-ci, arrivée au dernier degré d’une maladie de poitrine, elle allait rester sans ressources. Alors les orphelins devraient quitter la ferme où la famille payait un modique loyer ; Angela seule aurait à pourvoir, par son travail, à la vie de ces pauvres petits êtres. Telle était l’affreuse perspective qui torturait les derniers jours de la malade au moment où le hasard conduisit Vavasour dans cet intérieur touchant et désolé.

Vavasour apprit ou devina ces détails avec un serrement de cœur. Il voulut entrer dans l’intimité de ces affligées. Il revint bientôt rôder autour de la ferme, et, pour attirer l’attention d’Angela, pour arriver jusqu’à Mme Nevil et avoir accès dans la maison, il saisit un de ces prétextes, une de ces mille occasions qui, comme dit Sterne, « ne manquent jamais de se présenter aux voyageurs sentimentaux. » De peur d’effaroucher les jeunes femmes, il se donna pour un peintre en tournée, retenu à quelques lieues de là par des affaires d’art, et s’appela M. Carteret. Angela avait reçu une éducation soignée ; sa belle--