Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/529

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’il pouvait replacer l’Europe au point ou elle était le 23 février, dût-il même, pour cela, avoir à envoyer un ambassadeur à Paris et voir revenir M. de Barante à Saint-Pétersbourg, nous sommes persuadés que l’empereur Nicolas ferait le marché de grand cœur. Nous ne triomphons donc pas plus qu’il ne faut de la reconnaissance que la Russie fait de la république française et de l’empressement qu’elle témoigne à M. de Lamoricière ; nous, sommes loin d’y voir une malice pour discréditer la république en la reconnaissant, ou un commencement de conspiration entre le président de la république et le czar, ou une tactique pour ne pas avoir à combattre sur le Rhin, pendant qu’on combat sur le Danube et sur la Theiss : nous y voyons seulement un acte de bonne politique, une justice rendue à la cause de l’ordre, un habile empressement à rétracter l’éloignement impolitique qu’on témoignait à la France et l’occasion heureusement saisie de se corriger sans se démentir.

Rien ne coopère tant au rétablissement de l’ordre que le retour à l’équité. Chaque fois qu’un préjugé s’efface, chaque fois qu’une calomnie est confondue, chaque fois qu’une légitime réhabilitation s’accomplit, c’est une victoire pour l’ordre, en même temps que c’est une joie intime et profonde pour les honnêtes gens. Nous avons eu, pendant cette quinzaine, quelques-unes de ces bonnes joies, et d’abord la lettre de M. de Mornay sur le départ de la duchesse d’Orléans, le 24 février. M. de Lamartine, dans ce roman de la Révolution de 1848, que l’onanisme de la vanité a pu seul inspirer, M. de Lamartine avait dit qu’à Lille Mme la duchesse d’Orléans avait songé à tenter la guerre civile. Les amis de Mme la duchesse d’Orléans avaient laissé passer sans y répondre je ne sais combien de récits étranges de la révolution de février ; il n’y a que deux imputations qui aient vaincu leur patience, d’autant plus ferme qu’elle s’inspirait de la généreuse résignation de l’exilée d’Eisenach : c’est quand les uns l’ont accusée d’avoir souhaité, que dis-je ? d’avoir préparé l’abdication du roi Louis-Philippe, et quand les autres l’ont accusée d’avoir songé à faire la guerre civile. M. de Saint-Priest l’a vengée de la première imputation ; M. de Mornay la venge de la seconde. Non, jamais une pensée coupable soit contre le roi, soit contre le pays, ne s’est approchée de l’ame, de Mme la duchesse d’Orléans ; elle a la fermeté d’une veuve et d’une mère ; elle n’a pas l’ambition impatiente d’une régente ; et si elle a pleuré en quittant la France, c’est qu’elle en avait fait sa patrie la plus chère, c’est que l’exil reproduisait et ravivait pour elle les douleurs du veuvage heureuse cependant dans la peine d’avoir trouvé des amis comme M. de Mornay et M. de Saint-Priest, ces amis du malheur comme les devinait M. le duc d’Orléans ; heureuse aussi du souvenir qu’elle a gravé dans l’ame de tant de bons citoyens.

Cet hommage que M. de Mornay a rendu à Mme la duchesse d’Orléans et à la vérité avec un cœur que nous ne saurions mieux louer qu’en l’appelant un cœur d’autrefois, cet hommage nous mène naturellement au témoignage que M. Charras, un républicain de la veille, un républicain de naissance, s’est amené à rendre à M. le duc d’Aumale, et nous nous hâtons d’ajouter que M. Charras l’a rendu avec beaucoup de franchise, et comme y trouvant plaisir et honneur. Nous lui savons gré de ce sentiment. M. Charras avait été proposé pour un grade supérieur par M. le duc d’Aumale, et M. le duc de Nemours avait vivement soutenu la proposition de son frère. Est-ce que par ha-