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d’emprunt. M. Dufaure sait habiller cette pensée désolante d’une manière convenable ; mais cette pensée perce, et c’est là ce qui fait la force de ses discours. Je suis sincèrement républicain, dit-il, mais je ne le suis qu’à la condition de ne pas l’être comme vous et avec vous.

Comme si ce n’était pas assez contre la république de 1848 de ces démonstrations accablantes, voici qu’un douloureux témoignage s’élève du sein des colonies désolées. Quoi ! MM. Schœlcher et Perrinon, les représentans de la montagne, ne seraient pas nommés ! Mais que plutôt le meurtre et l’incendie dévastent la colonie et épouvantent la métropole ! Il y a un homme de bien qui va d’habitation en habitation prêcher la concorde, un homme qui est en même temps l’ami des noirs et l’ami des blancs ; il ne croit pas que l’abolition de l’esclavage veuille dire l’extermination des blancs ; il parle de paix, de conciliation, d’industrie, de travail. Cet homme évidemment est un ennemi du peuple ; il faut le tuer, et les fusils sont braqués sur lui ; c’est à grand’peine et par miracle qu’il échappe à la mort. Eh bien ! puisqu’on n’a pas pu tuer, on peut incendier, et l’incendie court à travers la colonie avec les bandes effrénées. Tableaux affreux ! scènes lamentables ! — Eh non, que vous êtes enfans ! c’est la liberté électorale comme l’entendent les montagnards. L’année dernière, en France même, on assaillait les électeurs, on renversait les urnes, on déchirait les bulletins. À la Guadeloupe, on assassine et on brûle. C’est la différence des climats chauds aux climats tempérés.

Nous espérons que l’assemblée nationale voudra connaître les causes de l’horrible émeute de la Guadeloupe. Ce n’est pas, quant à nous, au suffrage universel que nous nous en prenons des massacres et des incendies de la Guadeloupe ; nous nous en prenons à la politique du parti montagnard. Il a fait à la Guadeloupe ce qu’il a fait en France. Les vices de la société coloniale expliquent comment les effets de cette politique ont été plus terribles à la Guadeloupe qu’en France. En France, appels réitérés à la colère de la foule contre l’élite et des pauvres contre les riches. Cette politique nous a valu la guerre civile de 1848. Mais en France, s’il y a des différences de condition, nous sommes tous au moins de la même race. Il n’y a pas de blancs et de noirs, pas de maîtres et d’esclaves. Il y a donc de vieilles habitudes d’union et de familiarité qui tempèrent et qui abrègent les fureurs de la guerre civile. Aux colonies, rien de pareil. Les esclaves ne devaient pas, du jour au lendemain, être déclarés les égaux des maîtres. Qui ne voyait, en effet, que, gardant contre leurs maîtres toutes les colères de leur esclavage d’hier, les noirs, par l’abolition immédiate et violente de l’esclavage, devenaient plus puissans sans devenir meilleurs ? Ce n’est pas ainsi que nous avions compris l’abolition de l’esclavage. Nous voulions, pour notre part, qu’on attendît le résultat d’une grande expérience qui se tente en ce moment, celle de l’acclimatement des travailleurs blancs dans les Antilles. Persuadés par l’histoire que la race blanche peut vivre partout, pour peu qu’elle veuille s’en donner la peine, nous espérions que la société coloniale blanche se fortifierait et s’accroîtrait peu à peu par l’immigration des travailleurs métropolitains. L’union entre les blancs et les noirs ne peut se faire que s’il y a entre les deux parties de la population un équilibre de force matérielle qui a manqué jusqu’ici. C’est cet équilibre conciliateur que nous appelions. Le parti montagnard n’adopte pas de pareils procédés d’amélioration. L’esclave était un