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L’idéal proposé par M. Mickiewicz aux Slaves de Hongrie, de Bohême et de Turquie était sans contredit plus parfait. C’était par leurs seules vertus que la Pologne et la race slave tout entière devaient se régénérer. Grace à M. Mickiewicz, l’influence polonaise prenait ainsi grand avantage sur l’influence russe dans le développement du slavisme en Bohême, où celle-ci était représentée par Kollar, et en Croatie, où par mille efforts elle essayait de s’introduire. En somme, le but du slavisme littéraire des Polonais dans la question slave était de résumer le génie slave, de le parer de l’éclat de la poésie et de la science, et de réunir par cet attrait, sous le drapeau de la Pologne, toutes les nationalités slaves de l’Autriche et de la Turquie.

Les diplomates polonais reprirent, afin de lui donner une forme plus précise et un caractère plus politique, l’idée qui flottait entre les mains du poète. Leur chef, le prince Adam Czartoryski, était sans nul doute, par l’autorité de son nom, par l’illustration de sa vie, par sa grande expérience, l’esprit le mieux place pour imprimer à l’action du slavisme les allures élevées et prudentes qui, du poème épique et de l’ode, pouvaient le faire passer dans la pratique. Le prince Czartoryski n’était point du nombre de ces imaginations téméraires toujours prêtes à transformer des vœux en résolutions immédiates, et à aborder les difficultés par des coups de tête sans réflexion. Il appartenait à cette classe d’intelligences qui, chaque jour, disparaissent chez nous et en Europe avec la gravité des convictions et des caractères ; c’était, dans toute la dignité du terme, un homme d’état, un de ces hommes qui, placés par l’essor de leur esprit au-dessus des préoccupations de la vie privée, consacrant leur existence à l’étude des traditions et de la science politique, vivent, par une vocation naturelle, pour le soin des intérêts généraux et l’honneur de leur pays. Dans sa longue carrière, traversée par de si nombreuses vicissitudes et toujours associée aux espérances, aux catastrophes de la Pologne, le prince Czartoryski avait pu acquérir une connaissance peu commune de la situation générale de l’Europe. Elevé au sein d’une famille qui se faisait gloire de concentrer le rayonnement des idées du XVIIIe siècle pour les répandre sur la société polonaise, il conservait le libéralisme de sentiment particulier à cette époque de philosophie. Les épreuves de l’adversité avaient trop souvent remué en lui les sources de l’émotion pour qu’il conservât avec le goût du progrès le scepticisme de nos pères. C’était donc un homme d’état qui croyait à la liberté et à la justice, et dans la pratique des affaires il savait porter en même temps et la foi et la mesure.

Le prince Czartoryski comprenait bien que le slavisme littéraire de M. Mickiewicz avait, à côté de beaucoup d’avantages, un grand inconvénient aux yeux des peuples danubiens, celui d’aboutir indirectement