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En recherchant des qualités qu’il n’a pas rencontrées, M. Muller semble avoir perdu de celles qu’il possédait autrefois. Sa couleur est devenue d’une modération inquiétante. Le jour factice d’une lampe produit d’ordinaire des effets plus vigoureux et plus accusés, qu’on ne retrouve pas ici. La robe blanche de lady Macbeth admettait, ce me semble des reflets plus chatoyans, et les draperies du fond des demi-teintes plus chaudes. Pourtant c’est encore là que se rencontrent les parties louables du tableau. La suivante, coiffée d’un voile bleu et à demi éclairée, est d’un ton perlé d’une grande finesse, et il y a une délicieuse fraîcheur nocturne dans ce fond de ciel bleu et de remparts blanchis par la lune qu’on aperçoit à l’extrémité de la galerie.

En somme, il faut tenir compte à M. Muller de son intention, mais on n’en saurait rien pronostiquer. Son œuvre ne contient aucune promesse ; tout au plus semblerait-elle annoncer un successeur au peintre de Jane Grey, avec moins de goût pourtant et de savoir.

Quant au Mauvais riche de M. Biennoury, s’il annonce quelque chose, c’est un jeune pédant de plus. Cette race nous inonde. En voyant ce tableau, on reconnaît bien le grand prix des concours, le pensionnaire émérite de Rome, qui sait les ficelles du métier, et dont la tête n’a jamais dirigé la main. Ne lui demandez pas compte de ses intentions ni des motifs qui l’ont déterminé dans l’arrangement de ses personnages, ni pourquoi il a passé une teinte d’ocre uniforme sur les chairs, les étoffes, les tentures. Plus on considère ce tableau, moins on s’explique ce qu’on y découvre. Il est impossible de faire mal avec plus de prétentions. Je préfère de beaucoup M. Duveau : il est brutal, celui-là et peu académique ; mais au moins a-t-il une pensée qu’il exprime avec énergie. C’est quelque chose d’affreux que sa Peste dElliant. Cette charretée de cadavres, cette mère hurlante et échevelée, ce père qui a perdu la raison et qui suit en dansant, tout cela nous saisit comme un horrible cauchemar, et l’art n’a pas grand’ chose à revendiquer dans des effets de cette nature. Néanmoins ce mélodrame porte le cachet d’un esprit vigoureux et capable de créer un jour ou l’autre une œuvre grande et originale.

Pour se reposer de ce carnage, les amateurs de la peinture propre ont à quelques pas de là une Jeune chrétienne convertissant son fiancé, de M. Gendron, qui se distingue par une exécution luisante renouvelée de celle de Gérard. La jeune fille, tout en faisant épeler son fiancé dans les livres saints, appuie son menton sur sa tête brune, tandis que la main distraite du jeune homme va chercher la sienne. Ce groupe n’est point sans grace, bien qu’on y puisse trouver du maniérisme. Après tout, c’est quelque chose de rencontrer la jeunesse et la beauté, alors que tant de gens croient se donner un air capable en faisant laid. L’Ophélia de M. Guermann-Bohn est une blanche figure, doucement