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mélancolique, posée avec abandon. Le prince de Danemark, au contraire, montre une mine renfrognée, blafarde et peu avenante, et le tout en général manque de modelé.

Ce n’est pas sans une vive satisfaction qu’après cette longue revue de médiocrités, on arrive au tableau de M. Gleyre. Au moins allons-nous enfin trouver à louer. La Danse des bacchantes de cet artiste, conçue et exécutée dans le goût de Poussin, est le seul tableau d’histoire digne de ce nom qui soit au salon, le seul où revivent les grandes qualités de composition, de méthode, de dessin, qui constituent les maîtres. Dans cette œuvre poétiquement conçue et savamment combinée, toutes les parties sont étudiées avec un soin religieux. M. Gleyre respecte trop son art pour rien livrer à l’aventure. Tout ce qu’il fait est voulu et cherché, et dans les moindres détails on sent l’effort d’in esprit difficile et souvent mécontent de lui-même. C’est le propre du vrai talent. M. Gleyre est frère d’André Chénier, dont il rappelle la laborieuse correction, le rhythme précieux et le pur sentiment antique. Il a ressuscité la Grèce sur la toile, comme le chantre de l’Oarystis l’a ressuscitée dans ses vers, et sa Danses des bachantes semble empruntée à un bas-relief de Phidias ou à une strophe de Pindare.

Sur un plateau agreste, au sommet du Ménale, les bacchantes dansent en rond et chantent Io Proean au son des tambours, des cymbales et de la flûte double. L’une d’elles, vaincue par le dieu, est déjà renversé à terre ; une autre s’affaisse et se détache de la chaîne, qui paraît arrivée au paroxisme de l’ivresse sacrée. Les chevelures et les tuniques se dénouent ; les thyrses s’agitent avec violence, les prunelles égarées s’illuminent ; à droite, sous un pin aux vastes branches, le groupe des trois femmes qui font résonner les instrument de musique prend part aussi peu à peu à l’emportement orgiaque, tandis que, par un heureux contraste, une prêtresse, immobile et silencieuse au pied de la statue de Bacchus, tient élevé le trépied où fume l’encens et marque le véritable caractère de la cérémonie. Ce caractère est essentiellement religieux ; de là l’ordre et la cadence qui président à ces impétueux ébats, de là ce calme dans le mouvement, qui est une des principales sources du beau. Sans doute, cette chorégraphie à la fois noble et échevelée, furibonde et rhythmique, ne répond pas précisément à l’idée commune que fait naître le mot de bacchanale. Peut-être objectera-t-on que les matrones trapues des kermesses de Teniers dansent la bourrée avec plus de vérité. C’est possible ; mais le rapprochement n’est pas acceptable. Nous retomberions dans l’éternel débat entre l’imitation de la nature et l’interprétation. N’est-ce pas comme si l’on faisait un à Virgile d’avoir mis la plus belle poésie du monde dans la bouche de pâtres illettrés et grossiers ?

M. Gleyre se préoccupe surtout de l’arrangement de ses personnages