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torrent, et c’est grand dommage. Il y avait de lui au salon de 1846 ou 1847 un tableau qui promettait mieux. Vous vouvient-il de ces petits pâtres espagnols rassemblés au milieu d’une vaste lande comme une nichée d’aiglons sur une aire ? Le vent d’automne fouettait leurs têtes brunes et leurs pittoresques haillons. Groupe, attitude, couleur, tout était d’une vivacité, d’un entrain charmans. Avec un peu plus de dessin, cette vigoureuse peinture eut brillamment marqué la place de M. Leleux. Où retrouver maintenant l’Adolphe Leleux de cette époque ? et il y a de cela deux ans à peine ! Le Mot d’ordre a certainement des qualités solides, de la vie, du mouvement et de l’harmonie ; mais, pour Dieu ! que signifie le choix d’un pareil sujet ? quelles ressources offre à un coloriste le jour humide et terne de février à Paris, et comment poétiser ces accoutremens révolutionnaires, quelque bonne volonté qu’on y mette ? Le gamin de Paris est un type qui ne devrait tenter aucun artiste. Il est généralement laid, petit, malingre ; ses facultés intellectuelles ne sont développées qu’aux dépens du corps le plus chétif. De plus dans notre boue immonde, la pauvreté est repoussante, et les haillons sont affreux. Puisque M. Leleux aime les guenilles, je lui conseille de s’en tenir à celles d’Espagne et d’Orient ; là au moins un soleil splendide les empourpre et dore la misère.

Il serait long de faire la nomenclature de nos arabisans. C’est M. Frère, qui nous fait passer en revue les bazars, les cafés. Les caravansérails d’Alger ; c’est M. Wild avec sa Rue Bab-a-Zoun, M. Fouquet avec son Café égyptien, M. Salzmann, M. Loidon, etc. Grace à ces messieurs, nous finirons par connaître Smyrne, Alger et Constanine aussi bien que la rue Saint-Honoré. Leur maître à tous, un artiste d’un vrai talent, et dont je ne sache pas qu’il eût encore rien parti, c’est M. Fromentin. M. Fromentin a un faire qui tout d’abord vous persuade que l’Afrique est bien, doit être telle qu’il nous la représente. Les cinq tableaux qu’il a exposés peuvent être comptés parmi les meilleurs du salon, et, pour ma part, je ne sais rien en ce genre qui vaille mieux que la Smala de Si-Hamed-ben-Hadj. Une demi-douzaine de tentes rapiécés sur un terrain sablonneux et grisâtre, quelques femmes accroupies à l’entrée un âne mélancolique au piquet, deux ou trois silhouettes de chameaux tordant en l’air leur cou bizarre, un aloès épineux, une carcasse blanchie à demi enterrée dans le sable, un ciel splendide et monotone, voilà tout. Ce qui donne une valeur remarquable à un motif aussi simple, c’est la lumière étonnante qui l’éclaire. Ainsi que Marilhat nous l’avait appris, et comme on peut s’en faire une idée dans le midi de la France et en Italie, le soleil des pays chauds : si ce n’est au moment de son coucher, n’a pas ces reflets orange que lui prête l’imagination des poètes. Sa lumière est blanchâtre, étouffée, et semble terne au premier abord. C’est aux ombres