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pointu, aux cheveux noirs mal peignés, à l’œil profond et réfléchi, à la lèvre entr’ouverte, qui laisse briller de véritables dents de loup. Ce petit descendant de Romulus semble peint dans une manière antérieure à celle que pratique maintenant M. Hébert, et, franchement, il n’en vaut que mieux.

On s’explique difficilement pourquoi M. Courbet a fait un tableau de genre sur une toile de cinq pieds. Un intérieur de cuisine, qui plairait dans un cadre resserré, perd son charme, si vous lui donnez les proportions qu’il a dans la nature. Pour que nous nous intéressions à ces dîners rustiques sous le manteau de la cheminée et à tous ces dîners prosaïques de marmite, de crémaillère, de table et de siége de bois, il faudrait nous les montrer, comme font les Flamands, par le petit bout d’une lunette qui les poétise en les éloignant. M. Courbet peint bien, cela est vrai, il rend parfaitement ce qu’il a sous les yeux. Cette exactitude ne produit pourtant qu’une vérité triviale : je ne dirai pas que cela dépende purement des dimensions ; mais cette circonstance n’est pas sans influence sur l’impression d’ennui que cause l’Après-dînée à Ornans de M. Courbet. Le Fumeur de M. Meissonnier forme avec ce tableau un piquant contraste. C’est un de ces Lilliputiens que vous connaissez, si terminés, si complets dans leur petite personne, et pourtant d’une singulière largeur de touche. La veste entr’ouverte, la chemise débraillée, il fume, assis sur un banc, le dos à la muraille du cabaret, un coude sur la table et dans un nonchaloir superbe, certain que son maître ne rentrera pas de sitôt à l’hôtel. M. Meissonnier met d’habitude des culottes et un tricorne à ses personnages ; M. Courbet a coiffé les siens de casquettes et les a revêtus de paletots. Ce trait secondaire marque la différence de goût plus encore que de manière qui sépare les deux artistes. De même que M. Meissonnier ; M. Fauvelet a un faible pour l’oiseau royal. Il trouve plus d’agrément et de ressources dans la veste à paillettes que dans nos fracs noirs et nos paletots. Irons-nous lui en faire un crime et déclamer contre le rococo au nom de l’austérité républicaine ? M. Courbet serait là pour donner raison à ces travestissemens qui nous dérobent les aspects inélégans de la vie moderne. À la place de ce marquis en jabot de dentelle et en habit gorge de pigeon, qui vient rendre visite à deux petites maîtresses du bon temps de Lancret, mettez donc un lion avec ses sous-pieds et son col montant jusqu’aux oreilles. Donc, la peinture de M. Fauvelet a un œil de poudre, elle est pimpante, coquette, un peu minaudière, un peu froide comme celle du disciple dégénéré de Watteau. La Visite a la plupart des qualités et des défauts de ce peintre. Je ne vois pas, par exemple, pourquoi M. Fauvelet, parce qu’il habille des personnages à la mode du siècle dernier, se croit obligé d’habiller sa peinture à la mode des Boucher et des Beaudoin. M. Meissonnier, plus avisé, ne leur